Délibérations sur une requête en révision pour cause.
Avaler petit dèj - s'injecter deux cafés - taper sur le clavier cancer du sein Her2 positif – faire enter- commencer à lire les 3284 sites d’intérêt – sortir jogguer- rentrer se doucher – lire les sites – luncher – lire les sites – se calmer le pompom avec le yoga - souper- lire les sites- se servir un méga bol de yogourt glacé avec une montagne de framboises - s'ébouillanter dans un bain à la lavande – s'évader dans un polar, Kathy Reich, Dennis Lehane, Fred Vargas - faire dodo.
Bilan net de l’exercice: reconsidérer ma décision de refuser la chimio.
Jugée rationnelle avant la nouvelle du statut Her2 positif, la dite décision raccourcirait désormais mon espérance de vie de quelques années.
Disons de 15 ans. Toute autre chose étant égale par ailleurs, faisons l’hypothèse qu’un excellent repas bien arrosé en famille ou entre amis constitue un exemple de bonheur raisonnable sur lequel tout quidam moyen peut compter une fois par semaine, en y mettant du sien évidemment.
On parle ici de cinquante-deux moments de bonheur raisonnable par année, soit, en quinze ans, d’un potentiel de 78o moments de bonheur raisonnable auxquels, sans chimio, je risque de renoncer.
Et ce, sans compter la naissance de mon petit-fils.
Sans compter les minutes d’extase, les rires aux larmes, les douces mélancolies, ni les heures de quiétude neutre où, subitement, un simple raison de soleil rose traversant le salon sur une chanson de Billie Holiday justifie de vivre.
Sans compter les fois où coïncident le rayon de soleil, Billy Holiday, l’arôme épicé de la sauce à spaguettis s’échappant de la cuisine, les rires d’enfants par la fenêtre ouverte, une main qui nous caresse les cheveux et la lecture d’un bouquin génial fraîchement entamé. Disons, Self, ou Life of PI de Yann Martel. Au veau, la sauce, la recette d'André. Blue Moon, pour Billy Holiday. Ou mieux, De camino a La Vereda, au moment précis où Ibrahim Ferrer articule langoureusement : … mujer de malos sentimientos! (Buena Vista Social Club). Et paf! Le rayon darde soudain, tout rose, entre les branches du géranium! Nous ne respirons plus, suspendus à l’alignement parfait des éléments, à leur communion furtive.
Tout de même, ils surviennent ces moments de bonheurs superposés et dans tous les cas, la somme dépasse l’addition des parties. Mais leur rareté, leur imprévisibilité, notre impuissance à les mettre en scène délibérément, nous empêchent de les invoquer à l’appui de notre calcul.
Or donc, sans même tenir compte du bonheur rare, ni du sublime, ne retenant que les 780 moments de bonheurs raisonnable sur lequel tout quidam moyen peut compter en 15 ans en y mettant du sien, j’estime qu’il y a matière à réflexion. Matière à les vivre, ces quinze années. Quitte à faire de la chimio.
Mais revenons aux faits. En quoi le statut HER2 positif balance-t-il ma décision de refuser la chimio aux oubliettes?
Primo, sans chimio, le statut HER2 positif porte le risque de récidive du niveau moyen à celui de élevé sur une possibilité de 3 niveaux : 1-faible, 2-moyen, 3-élevé.
Le ErbB2, mieux connu sous le nom de HER2, est un gène qui contrôle la quantité de HER2, une protéine favorisant la croissance, libérée à la surface des cellules du sein.
Les tumeurs qui surexpriment la HER2 (appelées tumeurs HER2 positives) ont tendance à être des tumeurs de haut grade qui sont plus susceptibles de se propager que les tumeurs qui ne surexpriment pas la HER2.
Or, ces tumeurs réagissent bien à un certain médicament appelé Trastuzumab(Herceptin). Il s’agit d’une thérapie biologique, disponible depuis seulement quelques années.
Le trastuzumab est un anticorps et un traitement ciblé, soit un type de traitement qui cible des molécules ou des protéines spécifiques participant au développement des cellules cancéreuses du sein, mais qui limite les dommages aux cellules normales.
OUF ! Mes neurones ont les yeux bouffis. Pause. Mégaportion de yogourt glacé, double ration de framboises et allez hop, encore une heure de lecture.
Quelques effets secondaires peuvent résulter du Herceptin, pour la plupart mineurs. Symptômes pseudo-grippaux, frissons, blablabla, rien quoi.
En léchant la dernière cuillerée de yogourt glacé, oups, je tombe sur le dernier effet secondaire potentiel. Rare, mais sérieux : l’insuffisance cardiaque congestive (le cœur n’arrive pas à pomper efficacement le sang). Des tests aux trois mois en médecine nucléaire permettent toutefois d’en détecter la présence et de réagir en conséquence.
Du coup, deuxième bol de yogourt glacé. Encore un ptit quinze minutes de lecture.
Or donc le Herceptin. Traitement génial diminuant de 50% les risques de récidives des cancers Her2 positifs. Bon, il y a bien ce faible risque cardiaque, mais contrôlé par des examens réguliers permettant de s’ajuster, il semble inférieur au risque de récidive du cancer du sein.
Secondo, le Herceptin n’est administré que si l’on a préalablement reçu de la chimiothérapie. Obligatoire.
En bref, après la chirurgie, les thérapies adjuvantes préconisées pour prolonger mon accès aux 780 moments de bonheurs raisonnables s’énumèrent comme suit :
La radiothérapie (vise surtout à réduire les récidives locales).
L'hormonothérapie, la chimiothérapie et l'administration de Herceptin (employées seules ou associées, ces thérapies visent surtout à réduire les récidives métastatiques, ou qui se manifestent dans une autre partie du corps).
Sensation d'avoir quatre ans et demie, tapie dans une voiturette traversant, avec un CLAC! irréversible, les portes battantes de la maison hantée, subitement plongée dans le noir, ignorant de quelle direction surgira le squelette hurlant, après quel virage une main sanglante jaillira du sol, papa, maman, j'ai changé d'idée, veut plus y aller, chui pas si grande que çà finalement! Ouiiiiiiiinnn! AAAAAAAAAHHHHHHH!
Mes neurones et mon système nerveux criant grâce, je ferme le portable, plonge dans un bain bouillant, puis me réfugie dans un vieux Fred Vargas élimé, sur lequel je m’endors, lumière ouverte, lunettes écrapouties sous les oreillers. Je rêve d’un grand cœur rouge à la texture de gomme à effacer, que je borde avec soin dans une couchette de bébé à côté de son toutou, lequel s’avère, maintenant que j'y repense, une brosse-à-dent géante avec des oreilles de lapin.
Où la vérité sort de la bouche des sarraus extra-small
Le 13 juin 2007, docteure Oncologue opine du bonnet dans son sarrau extra-small en nous dévisageant ma fille et moi: En effet, il est nécessaire de recevoir de la chimiothérapie pour avoir accès au Herceptin.
Docteure Onco, dites-moi la vérité, le combo chimio-Herceptin augmente-t-il de beaucoup mes chances d'accéder à au moins 780 moments de bonheur raisonnable de plus?
De beaucoup, oui. on parle de 50%. Vous faites le bon choix.
Ravie, ma druide, énervée comme une puce. M'explique avec entrain le plan de match remanié et les magiques potions qu'elle me concoctera.
Nous annulons le début de la radiothérapie et la reportons à... après la chimio. Annulée également la chirurgie d’ablation des ovaires en gynéco (on verra plus tard au besoin, si la ménopause ne survient pas avec la chimio).
Puis, sur le ton enjoué du parent annonçant une sortie à la foire aux manèges à fiston: La chimio débute mardi!
Hein? Mar-mardi? Comme dans mardi prochain?
Mardi prochain, c’est çà. Le 19 juin.
Des traitements en conséquence, disait docteure Chirurgienne ...Quence, quence, résonne l'écho. Je fais un mini burn out de quelques secondes, agite mon mouchoir en guise d'adieu définitif à mes vacances à la mer, puis remonte dans l'arène écouter mon coach.
En chimiothérapie, les médicaments employés, les doses administrées ainsi que les horaires suivis varient d’une personne à l’autre. Dans votre cas je retiens deux protocoles possibles: le CME d'une durée de six mois, ou le AC d'une durée de quatre mois. Le AC est un peu plus dur, mais plus court. C'est celui que je préfère dans votre cas.
Résolue à graduer un jour de mon statut de Future Patiente à celui de Patiente, je me rallie tout de suite. Bien sûr, le AC, c'est mieux, assurément!
Le protocole AC est constitué de Doxorubicine (Adriamycin), et de Cyclophosphamide (Cytoxan, Procytox). Vous aurez 4 cycles du protocole AC, aux 21 jours. Le traitement dure entre 3 et 4 mois si tout va bien.
Comme le Herceptin, l’Adriamycin peut endommager le cœur, aussi vérifie-t-on son état par une ventriculopathie isotopique que je vous scédule illico.
Ah bon? Deux potions qui s'attaqueront peut-être à mon coeur? C’est qu’il est un tantinet rapiécé et point-de-suturé ce cœur, croyez qu’il tiendra le coup?
Mais si, vous êtes dans une forme physique resplendissante, cela se voit tout de suite! m’assure docteure Optimisme Inébranlable¸
Et euh… les effets secondaires?
Outre les risques minimes d’effet sur le cœur, mentionnons la perte totale des cheveux assurée, et possibilité, notamment, de fatigue, nausées, vomissements, ulcères buccaux, anémie, baisse des globules blancs et risques d’infection élevés
...Notamment?
Docteure Onco nous regarde successivement avec sérieux ma fille et moi: Attention, après chaque traitement, si vous faites de la fièvre à 100,4 degrés F, vous attendez une heure et revérifiez; si elle persiste vous vous précipitez à l’urgence. À 101 degrés F, vous vous rendez à l’urgence immédiatement et on doit vous confiner en isolation avec antibiothérapie.