Au moment où se déroulent les événements que l’on sait au Tibet, il pourrait paraître dérisoire d’évoquer les déboires récents d’un internaute d’origine chinoise (mais ne vivant pas en Chine) amateur d’art et de photographie. Certes, M. Leo Lau ne risque ni sa liberté, ni sa vie dans sa petite mésaventure ; il n’en reste pas moins victime d’une censure particulièrement imbécile.
« Dans une conception plus large, adoptée ici, la censure est assimilée à toute mesure visant à limiter la liberté d’expression, que ce soit a priori, ou une fois l’objet du litige entre les mains du public.
La censure peut être une interdiction, à quelque moment que celle-ci intervienne et d’où qu’elle provienne, qu’il s’agisse de la suppression d’un passage, de la condamnation à des dommages intérêts, de la publication d’un avertissement ou d’une décision de justice. Les représailles économiques, le chantage par des actes d’intimidation ou de rétorsion appartiennent également à ce registre. »
« Suppression d’un passage, actes d’intimidation », nous sommes au cœur du sujet. Voici donc l’affaire dont il est question : M. Lau avait ouvert un compte sur le site de partage de photos Picasa, dépendant de la célèbre société Google. Il y avait entreposé un certain nombre d’images, dont l’une représentait L’Origine du monde, la célébrissime toile de Gustave Courbet. Or, le site d’hébergement supprima purement et simplement le tableau au motif qu’il contrevenait à son règlement : c’était une image pornographique ! Légitimement étonné, M. Lau adressa un courriel à l’administrateur dudit site, dont voici la traduction :
« Je vous écris en réponse à la suppression de ma photo pour cause de violation de votre règlement. Je suis vraiment navré que vous considériez pornographique une œuvre artistique. Je vous prie de vérifier une fois encore la photo que vous avez enlevée. C’est en fait un tableau exposé au musée d’Orsay. Cette toile est un chef d’œuvre de Gustave Courbet (1819-1877) intitulé L’Origine du monde (1866).J’espère sincèrement que vous pourrez réintégrer la photo de cette œuvre d’art et qu’à l’avenir, vous pourrez mieux apprécier la différence entre une œuvre artistique et une obscénité. »
Même avec l’imagination, toujours fertile et en alerte, d’un censeur, on a du mal à croire que le rédacteur de ces lignes serait un dangereux pervers… La réponse ne se fit pas attendre :
« Nous vous informons que nous avons reçu des rapports signalant un contenu inapproprié dans votre album Picasa. Une ou plusieurs photos exposées dans votre album violent notre règlement et ont été supprimées.Notre règlement stipule que les images publiées sur picasaweb.google.com ne peuvent avoir un caractère obscène, pornographique, haineux, violent, ou concerner le spamming, les programmes malveillants et les virus.Nous vous prions de noter que, si vous persistez à violer notre politique, nous pourrons suspendre votre compte. »
La suite du message renvoyait au texte du règlement de Picasa, sensé refléter – je cite – la « Google attitude ». Le premier article de ce document dispose :
« Pornographie et obscénité : Nous n’autorisons pas la diffusion d’images ou de contenu vidéo incluant des scènes de nudité, des représentations graphiques à caractère sexuel ou tout document qualifié de sexuellement explicite par Google. »
Passons, si l’on peut dire, sur le principe de délation d’un contenu « inappropriate », terme favori de quelques bien-pensants-citoyens-responsables anglo-saxons dès qu’il s’agit de sexualité sous quelque forme que ce soit. Mais que dire de l’administration de Picasa, visiblement incapable de faire la différence entre une œuvre d’art et une photographie obscène ? Le
Bien entendu, le règlement du site part d’un bon sentiment, même si l’amalgame entre l’appel au meurtre et la pornographie pose un problème éthique : il est facile de définir un appel au meurtre, en revanche, la notion de pornographie fait référence à un jugement on ne peut plus subjectif. Si l’on suit l’article cité du règlement, toute image montrant une scène de nudité serait proscrite, ce qui trahit un puritanisme obscurantiste et une limitation drastique de la liberté d’expression. Voilà qui me rappelle singulièrement un exemplaire de l’innocent Petit Larousse que je feuilletais il y a quelques années, dans une librairie de Téhéran : le David de Michel-Ange, Adam et Eve de Lucas Cranach, la Toilette d’Esther de Chassériau, la Vénus endormie de Giorgione et bien d’autres reproductions encore avaient été caviardées au marqueur noir par les fonctionnaires de la censure.
Un journaliste et musicien du milieu du XIXe siècle, Oscar Comettant, racontait dans un livre de voyage, Trois ans aux Etats-Unis, l’anecdote suivante :
« J’avais observé à Boston que, dans les maisons connues par leur puritanisme, quand il y avait un piano, les pieds de l’instrument étaient soigneusement recouverts d’une housse qui les enveloppait entièrement jusqu’à la caisse. Je n’avais pas eu
Ce témoignage, lourd de signification sur les névroses des puritains, laisse une question ouverte : les photographies de pianos non expurgées sont-elles autorisées ou « inappropriate » sur le site d’hébergement en question ?