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Michaux, Rencontre dans la forêt…

Publié le 20 mars 2008 par Savatier

 Il y a un peu plus d’un an, à l’occasion d’un voyage, j’ai eu la chance de visiter une belle collection privée d’art moderne. Il s’agissait, comme c’est le plus souvent le cas, de tableaux qui n’avaient jamais été montrés au public. Un grand pastel de Degas (une sortie de bain), un petit Chagall très poétique et un petit Braque (une nature morte), deux Pissarro, un Signac, quelques Kandinsky, Brauner et Bellmer, trois Soulages (le peintre vivant que je préfère), de l’art brut et bien d’autres œuvres.

Il y avait surtout, dans une bibliothèque, une série de dessins

originaux d’Henri Michaux du plus grand intérêt. Ils provenaient tous d’un seul cahier, qu’un marchand avait eu l’idée iconoclaste de casser pour les vendre à l’unité. Un comportement de sauvage uniquement attiré par l’appât du gain, comme celui des bouquinistes qui cassent un livre illustré pour écouler les gravures séparément ! Le collectionneur en question eut l’excellente idée d’acheter tous les dessins, ce qui permit de conserver un ensemble tout à fait unique, un document de première importance pour la connaissance de l’œuvre picturale du poète.

Etonnante réunion, constituée surtout de frottis, une poésie à regarder et non à lire, qui rappelle tout à la fois la calligraphie chinoise, une chorégraphie et un bestiaire embrumé. On comprend mieux, devant ces dessins, la fascination réciproque de Michaux et de Zao Wou-Ki.

Explorateur du graphisme comme du langage, Michaux surprend toujours par le rythme pur de ses phrases. Un petit recueil, qui fut publié en 1997, avait permis de réunir quelques textes inédits ou publiés dans des revues, mais non repris en volume : A Distance (textes réunis par Micheline Phankim et Anne-Elisabeth Halpern, Mercure de France, 135 pages, 10,67 €). On y retrouve sous le titre « Rencontre dans la forêt » un poème érotique que je tiens (sous ma seule responsabilité) comme l’un des plus beaux de la langue française. Publié dans la revue « Transition » en 1935, puis en plaquette sans nom d’éditeur en 1952, il semble bien un pastiche du « Grand combat » que Michaux publia en 1927. Sa forme même, sans doute, le fit échapper à la censure soucieuse des « bonnes mœurs ».

D’abord il l’épie à travers les branches.
De loin, il la humine, en saligorons, en nalais.
Elle : une blonde rêveuse un peu vatte.

Ça le soursouille, ça le salave,
Ça le prend partout, en bas, en haute, en han, en hahan.
Il pâtemine. Il n’en peut plus.

Donc, il s’approche en subcul,
L’arrape et, par violence et par terreur la renverse
sur les feuilles sales et froides de la forêt silencieuse.

Il la déjupe ; puis à l’aise il la troulache,
la ziliche, la bourbouse et l’arronvesse,
(lui gridote sa trilite, la dilèche).
Ivre d’immonde, fou de son corps doux,
il l’envanule et la majalecte.
Ahanant éperdu à gouille et à gnouille
- gonilles et vogonilles -
il ranoule et l’embonchonne,
l’assalive, la bouzète, l’embrumanne et la goliphatte.
Enfin ! triomphant, il l’engangre !
Immense cuve d’un instant !
Forêt, femme, ciel animal des grands fonds !
Il bourbiote béatement.
Elle se redresse hagarde. Sale rêve et pis qu’un rêve !
« Mais plus de peur, voyons, il est parti maintenant le vagabond…
et léger comme une plume, Madame. »


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