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"Je suis né comme un vieux
Je suis né comme un porc
Je suis né comme un dieu
Je suis né comme un mort
Ou ne valant pas mieux
.../...
.../...J'ai joui comme un porc
J'ai joui comme un vieux
J'ai joui comme un mort
J'ai joui comme un dieu
Sans trouver cela mieux
.../...
.../...J'ai souffert comme un porc
J'ai souffert comme un vieux
J'ai souffert comme un mort
J'ai souffert comme un dieu
Et je n'en suis pas mieux
.../...
.../...Je mourrai comme un vieux
Je mourrai comme un porc
Je mourrai comme un dieu
Je mourrai comme un mort
Et ce sera tant mieux"
"La bonne vie"-Roger Gilbert-Lecomte-
illustration: source Toile
"Incident de frontière entre rêve et veille : un épuisement soudain m'ensevelit, je sommeille sur un divan.
Quelqu'un entre : j'entends, je n'entends pas, je dors, je m'éveille, je continue à dormir.
En un instant naît la scission mémorable.
Moi-qui-veille se lève et montrant au nouveau venu
Moi-qui-dors toujours étendu sur le divan dit en se penchant :
— « Il dort. »
Sans la moindre angoisse.
La crainte commence à saisir
Moi-qui-veille quand
Moi-qui-dors s'agite et crie en proie aux lémures du profond sommeil.
Moi-qui-veille se tournant vers son hôte dit finement:
— « Il rêve. »
Moi-qui-dors se dresse brusquement sur son séant.
Moi-qui-veille poussé par un souvenir de solidarité l'aide à se dresser complètement.
Spectacle unique:
Moi-qui-veille prend le bras de
Moi-qui-dors, comme on fait à un convalescent et tous deux (ou tout un en deux) font au pas le tour de la chambre.
Au secours !
Moi-qui-dors chancelle,
Moi-qui-dors s'affaisse.
Il échappe à
Moi-qui-veille et tombe très lourdement sur le sol.
Son crâne rebondit.
Moi-qui-veille, toujours debout, le contemple, puis, inquiet, se tourne vers son hôte et dit : — «Très ennuyeux, quand il faudra que je rentre là-dedans (et il indique du pied
Moi-qui-dors étendu, inerte) je me trouverai courbaturé et j'aurai mal à la tête pour le reste de la journée. »
-Roger-Gilbert Lecomte-par Auguste Vertu -
photos Chantal et Mireille