La baisse des impôts, le tabou français

Publié le 24 novembre 2012 par Copeau @Contrepoints

Lorsque le débat sur la baisse des impôts est rendu impossible par la sacralité du tabou, toute réforme devient difficilement réalisable.

Par Natasa Jevtovic.

Contester la charge fiscale en France est devenu politiquement incorrect car cela signifie remettre en cause les « acquis sociaux » et l’idée d’une société égalitariste basée sur la solidarité. Même lorsque les chiffres officiels sont avancés : selon les calculs de l’INSEE, avec un revenu individuel net de 21 191€/an, ce qui représente un salaire médian de 1 765€/mois, on paie 2 466€ d'impôts et on reçoit 1 067€ de prestations. On voit bien que les impôts ne sont pas utilisés uniquement pour la répartition des richesses, mais génèrent aussi des gaspillages importants devenus incontrôlables. Lorsque le débat est rendu impossible par la sacralité du tabou, toute réforme ou modernisation devient difficilement réalisable et suivie d’une violente protestation populaire.

Pourtant, cette fiscalité confiscatoire censée financer le « généreux » système social français est devenue insoutenable. Elle empêche le retour de la croissance et ralentit la création d’emplois, dans une économie européenne désormais ouverte à la concurrence. Dans les pays de l’Est, l’impôt sur les sociétés est très bas ; en Estonie, il est même supprimé pour les réinvestissements. Ces pays, soucieux d’attirer les investissements directs étrangers (IDE), ne l’augmenteront jamais. De surcroît, notre système social est désormais essentiellement financé par les emprunts sur les marchés financiers, puisque les recettes fiscales ne couvrent que le remboursement des intérêts de la dette, ce qui met en danger notre souveraineté.

À présent, ce sont les marchés financiers qui paient notre sécurité sociale, nos retraites et les salaires de nos fonctionnaires.

L’idée selon laquelle la dette publique augmente parce que les recettes fiscales et sociales diminuent est fausse. Au contraire, les impôts sont augmentés en continuité, que ce soit sous les gouvernements de droite ou de gauche. Le premier graphique montre l’évolution de la dette publique [1] entre 1975 et 2010, le deuxième la pression fiscale [2] entre 1965 et 1996 où la France est représentée en couleur prune. Notons que la part de l’impôt dans le PIB était proche de 10% un peu partout avant la Première guerre mondiale [3] et que ce taux n’a jamais cessé d’augmenter :

Figure 1. Évolution de la dette publique française.

Figure 2. Évolution de la pression fiscale en Europe.

En ce qui concerne les impôts locaux prélevés par les régions, gouvernées depuis longtemps par la gauche, ils sont en constante augmentation, comme nous pouvons le constater sur les deux graphiques ci-après. En Seine Saint Denis, le département le plus pauvre de la France, les impôts locaux ont augmenté de 61,12% entre 2002 et 2009 (et même 75,15% pour la seule ville de Saint Denis). Les impôts sur le revenu ont baissé de 7,21% pendant cette même période [4. À Paris, qui est à la fois un département et une région, les impôts locaux et régionaux ont augmenté de 54,12% et celui sur le revenu de 8,45% pour la même période [5].

Figure 3. Évolution des impôts locaux, part départementale.

Figure 4. Évolution des impôts locaux totaux.

Lorsque Michel Sapin a expliqué que le gouvernement Hollande allait revenir sur la défiscalisation des heures supplémentaires, décidée par le gouvernement Sarkozy pour augmenter le pouvoir d’achat des salariés, il a pu dire que « l’État dépense de l’argent pour la défiscalisation des heures supplémentaires » [[6. C’est dans l’air, Hollande face à l’Europe, TV5 Monde, 9 mai 2012.]]. En réalité, l’État ne dépense rien mais perçoit tout simplement moins de recettes.

Un grand nombre d’intellectuels français et des médias utilisent une rhétorique remarquable pour dénaturer les faits afin de marquer l’opinion publique. Par exemple, s’agissant des déductions d’impôts, les médias expliquent aux citoyens que « les riches reçoivent les chèques du Trésor public ». En réalité, ces chèques sont des remboursements d’une partie d’impôts que ces contribuables avaient déjà payés au titre desquels ils ont droit à une réduction. Ce sont des « niches fiscales », également appelées « cadeaux aux riches » que les gouvernements utilisent pour orienter les investissements des contribuables.

Vous avez droit de déduire un pourcentage de vos impôts si vous faites des dons aux associations caritatives, ou si vous embauchez une nourrice parce que vous n’avez pas trouvé une place en crèche, ou si vous remplacez une chaudière et choisissez un modèle qui consomme moins d’énergie, ou si vous achetez un appartement et acceptez de le louer à un prix modique pour une durée de neuf ans, ou si vous aidez la construction des routes dans les DOM-TOM, ou si vous investissez dans les forêts… On voit bien que ces « niches » peuvent concerner un grand nombre de contribuables qui ne sont pas nécessairement riches. Elles se multiplient parce que la pression fiscale est insoutenable ; si elle était moindre, tous ces dispositifs ne seraient même pas nécessaires.

Il est sans doute vrai que les riches paient proportionnellement moins d’impôts que les pauvres, car ils sont mieux avertis ou mieux conseillés. La fiscalité française est sans cesse modifiée et il faut effectuer la veille juridique pour se tenir au courant de tous les dispositifs existants. Malheureusement, seuls les contribuables les mieux informés profiteront de ces niches, même si toutes les informations sont disponibles sur Internet.

Pour la gauche, la classe moyenne est de plus en plus considérée « riche » et devrait être taxée davantage. Ainsi, le site Alternatives économiques a récemment publié un billet selon lequel il y aurait en France un millionnaire en dollars pour vingt-cinq habitants, ce qui représente la densité la plus élevée au monde [6]. Ces millionnaires en dollars, ce sont les citoyens ordinaires qui possèdent un patrimoine d’une valeur de 750 000€, le prix d’un appartement parisien. Si un retraité parisien possède un tel appartement, dans lequel il a fondé son foyer et regardé ses enfants grandir, il serait donc obligé de le vendre pour acheter un bien plus petit. Et ne rien laisser à ses enfants, qui seront obligés à recommencer de zéro. On néglige bien souvent l’importance de l’épargne qui doit précéder tout investissement : tout le monde peut devenir "riche" et atteindre ces 750 000€ de patrimoine en faisant un petit effort d’épargne au début de la carrière afin d’acheter sa résidence principale. Tout le monde peut le faire, sans exception, car tout le monde peut décrocher un crédit immobilier à un moment donné au cours de sa carrière, seul ou avec son conjoint pour les moins fortunés.

Et si ces « riches », tellement décriés par les médias – c’était des simples citoyens comme nous ?

Celui qui toute sa vie fume un seul paquet de cigarettes par jour, dépense en cigarettes le prix d’un petit pavillon dans la banlieue. Il est libre d’investir en cigarettes si tel est son choix, mais ne doit pas spolier celui qui a librement choisi d’investir en immobilier. La propriété privée est la clé de la prospérité et la solidarité familiale doit rester une valeur non négociable. L’État doit jouer son vrai rôle, celui d’encadrer nos échanges par les lois ; son rôle n’est pas d’intervenir dans l’économie ou dans les contrats privés de transmission de patrimoine. Pourquoi l’État devrait-il taxer un patrimoine alors qu’il a déjà taxé les salaires investis pour le constituer ?

Pourquoi nier la responsabilité individuelle des citoyens ? Pourquoi récompenser les cigales et non les fourmis ? La société qui ne soutient pas l’investissement privé – qui n’est possible que grâce à l’épargne – est-elle clairvoyante ? Est-elle juste ?

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Notes :

  1. INSEE, Dette publique de la Francegraphique repris par Wikipédia.
  2. OCDE, Statistiques des recettes fiscales, 1997.
  3. Nicolas Delalande, Les batailles de l’impôt – consentement et résistances de 1789 à nos jours, Seuil, Paris, 2011, p. 7.
  4. Source : http://www.nosimpots.fr/departement/seine-saint-denis.
  5. Source : http://www.nosimpots.fr/commune/paris.
  6. Gilles Raveaud, « France : des millions de millionnaires », Alternatives économiques, 2 avril 2012.