Je suis plutôt sensible en ce moment. Il m’en faut peu pour m’émouvoir, dans le bon sens comme dans le mauvais. Mais pas par n’importe quoi. Et ici je privilégie le bon, le fort, cet intense sentiment que nous avons tous connu à un moment ou à un autre. Celui que procure la merveilleuse découverte d’une œuvre de fiction bouleversante et superbe. Quand, à la fin de l’histoire, vous avez le sentiment de n’être plus que votre cœur qui bat, organe tout occupé à résonner pour les gens que vous aimez, ceux qui vous manquent, les joies que vous avez connues, et l’envie de vivre encore de ces moments, d’en vivre d’autres, de nouveaux, par et pour ces personnes auxquelles vous tenez si fort, et qui font que votre vie vaut d’être vécue. L’amour, l’amitié, l’instant présent. Voilà l’essentiel « vitaliste » que transmet cette lecture. Une piqûre de rappel, et ceci en parlant de la mort. En ce qui me concerne ça tombait à pic. Pour ainsi dire, un « cadeau du ciel ».
Comme j’ai pas mal fréquenté ces derniers temps le monde des bulles, j’ai eu entre les mains, par l’intercession d’un mousquetaire que j’aime à croire bien disposé à mon égard, ce roman graphique intitulé Daytripper. Etant pour ainsi dire néophyte dans le domaine de la BD et du roman graphique, je n’en connaissais pas les auteurs mais la couverture, le trait et les couleurs m’attiraient particulièrement. Et puis il ne m’était pas confié par n’importe qui. Alors…
Une fois ouvert, impossible à lâcher. Car tout concourt à poursuivre la lecture : l’écriture, la narration pour le moins inventive, la beauté des planches, les silences, les regards… avec et au-delà, la sensibilité, la délicatesse qui imprègnent l’ensemble. L’histoire simple, crédible, de Bràs de Oliva Domingos, écrivain en devenir, prend une tournure différente à chaque chapitre, à un âge différent, et dans le désordre. Comme si les auteurs n’avaient pas su quelle piste privilégier pour dessiner la vie de leur personnage et de son entourage (ils savaient très bien ce qu’ils produisaient). La brève confusion qui en résulte n’en est pas une, et provoque, forcément, l’envie d’avancer dans les vies de Bràs, cet attachant garçon tantôt jeune adulte, tantôt en culottes courtes, tantôt homme mûr… Toujours placé à un moment clé – ces moments clés qui sont les mêmes pour tous, et uniques à la fois.
(Difficile de rendre justice à la beauté graphique de l’ouvrage sur le web, mais enfin)
C’est un roman graphique donc, sur le hasard, sur la préciosité de la vie, sur le lien et sur la filiation aussi. Autant de thèmes forcément prégnants dans la création en général, mais rarement développés, à mes yeux (tous mots pesés), avec autant de talent et de subtilité que par ces messieurs Fàbio Moon et Gabriel Bà. Ces frères jumeaux brésiliens offrent ici, comme le dit Craig Thompson qui signe une jolie page-hommage à la fin du livre, « une humble méditation sur la mortalité ». Tellement riche de tout ce qui importe dans la vie, qu’elle vous laisse avec un appétit extraordinaire. Où l’on se dit, aussi, qu’il convient de réparer ce qu’il faut réparer, et laisser de côté ce qui encombre et gâche l’existence. De tout tenter. Facile à dire ? Lisez donc ce livre : il procure une sacrée dose de courage.
Daytripper (au jour le jour), de Fàbio Moon (scénario) & Gabriel Bà (dessin), Ed. Urban Comics, coll. Vertigo Deluxe, 256 p., 22 euros.
Ps. La vie est un « One way ticket-yeah », en citant les Beatles in la chanson Daytripper (dont le titre du roman s’inspire). J’ajouterai alors : « We can work it out » – life is very short, and there’s no ti-i-i-i-ime for fussing and fighting my friend. Allez hop, je ne résiste pas à la glisser ici :
Pps. J’avais dit que je revenais avec de la littérature : c’en est. Qu’on peut d’ores et déjà ajouter aux idées de cadeau de Noël.