En complément au précédent billet – un peu en différé à cause de la situation à Gaza -, cet article (en arabe) publié dans Al-Quds al-’arabî, qui nous en apprend davantage sur les activités d’Ahmed El-Sobki, évoqué un peu plus tôt. Apparemment, l’empereur de la production cinématographique populaire arabe est bien décidé à diffuser sur Time Cinema, sa chaîne télé, les œuvres les plus torrides du grand écran arabe : Hammam al-malâtîlî (du nom d’un célèbre hammam au Caire), Voyage d’une vie (Rihlat al-’umr), Une femme de mauvaise réputation (Imra’a sayyi’at al-sum’a), La femme des lunes noires (Sayyidat al-aqmâr al-sawdâ’), Rue de feu (Shawâri’ min nâr), Pécheurs (Mudhnibûn). Tous ces titres impérissables, généralement produits dans les années 1970 et qualifiés en arabe d’ibâhiyya (licencieux) bien qu’ils n’aillent pas au-delà de ce que montre l’image ci-dessous (cliquer pour agrandir), pourraient donc revoir le jour sur les écrans télés, à défaut de vivre leur vie « normale » dans la pénombre des salles obscures !!!
Après avoir été tenus dans l’ombre par l’essor de l’islam politique pudibond à partir des années 1970, c’est paradoxalement la victoire politique des Frères, à la suite des soulèvements de 2011, qui leur aura permis de retrouver la lumière ! Pour Kamal el-Kadi, l’auteur de l’article mentionné, une telle décision s’inscrit sans doute aucun dans une sorte de mobilisation générale des intellectuels et des artistes bien décidés à tester les intentions du nouveau régime en place et à vendre chèrement sa liberté de création… Mais on a le droit de pencher davantage pour une autre hypothèse, celle qu’il se contente d’évoquer rapidement au début de son article, à savoir l’instrumentalisation astucieuse par El-Sobki, le roi de la comédie populaire, du contexte actuel.
Dès lors qu’ils ont quitté l’opposition en arrivant au pouvoir, en situation d’exercer la censure après en avoir été si longtemps les victimes, les courants de l’islam politique se trouvent placés dans une position qui les oblige à modifier de fond en comble leurs choix politiques en général, et à renégocier totalement leur discours sur les questions de société en particulier. Pris dans la logique de l’exercice du pouvoir, lequel passe par d’inévitables compromis entre les partisans des extrêmes, les Frères musulmans sont visiblement soumis à toutes sortes de pressions, internes et externes, locales et internationales, qui ouvrent, de manière apparemment inattendue mais en réalité assez inévitable, des espaces de liberté à ceux qui, tels El-Sobki, se montrent suffisamment malins pour exploiter les interstices du contexte actuel.
Pour beaucoup d’observateurs, pour l’opposition égyptienne et aussi une bonne partie de la population, le (second) coup d’Etat feutré que vient d’opérer, avec beaucoup d’opportunisme politique, le président Morsi, tout juste auréolé de ses succès diplomatiques à Gaza, est le prélude à une nouvelle dictature. On n’est pas obligé de les croire sur parole et on verra bien ce qu’il en sera dans les faits. A regarder la scène culturelle (au sens large du terme il est vrai), on voit bien que les choses ne sont pas si simples et que le parti Liberté et Justice va bien devoir composer, ne serait-ce que par sens politique, avec les réalités de la société égyptienne, et éviter le choc frontal, en particulier sur la question des mœurs.
Surtout si l’interprétation populaire de la bonne règle musulmane est servie par des interprètes aussi… spirituelles que l’actrice et danseuse orientale, Sama El-Masry. La belle avait déjà défrayé la chronique en laissant dire qu’elle était l’épouse (selon les rites du mariage coutumier) d’un ex-député islamiste, devenu brusquement célèbre pour s’être prétendu victime d’une agression alors qu’il n’avait subit qu’un nose job (rien de sexuel là-dedans, c’est juste une opération esthétique). Mais depuis quelque jours, la Toile égyptienne (et arabe) se tord de rire en visionnant le clip qu’elle vient de réaliser. On la voit mettre en évidence des atouts… manifestes dans sa critique du nouveau pouvoir égyptien qu’elle éreinte (étymologiquement « rompre les reins » faut-il le rappeler!) avec force allusions transparentes à quelques-unes de ses « saillies » les plus célèbres : depuis Toz fi Masr (quelque chose comme « l’Egypte mon cul ! »), malencontreusement lâché lors d’une émission télévisée par celui qui allait devenir président, jusqu’à la mangue, fruit capiteux et source d’inépuisables plaisanteries salaces (voir ce précédent billet), dont le président Morsi, pour preuve du succès de son action, s’est vanté d’avoir fait baisser le prix !…
Pour certains (voir par exemple ici), cette vidéo est un signal important, qui marque la fin du mythe du sacro-saint dirigeant tout puissant. C’est aller un peu vite en besogne… Mais pour l’heure, il reste que la belle Sama, malgré ses allusions moqueuses au président Morsi et aux autres dirigeants des Frères musulmans, n’a pas subi les foudres de l’actuel Pharaon.