Magazine Photos

Une nouvelle d'Aqil GOPEE (Île Maurice).

Par Ananda

 

LUVDISC.

Un yacht a fait naufrage contre les récifs de Grand-Baie hier après-midi pendant une tempête. La femme du propriétaire, S. K., qui se trouvait avec lui sur le yacht, a été repêchée tôt ce matin grâce à l’aide de volontaires. Elle a été conduite à l’hôpital du Nord où elle est actuellement sous soins intensifs. Son mari, pour le moment, n’a pu être retrouvé. Les recherches continuent mais les chances de le retrouver s’affaiblissent d’heure en heure.

Ta forme de cœur. Tes écailles si fines. Ta belle couleur rouge et tes grosses lèvres rondes et roses.

Tu es Luvdisc, ma princesse.

Tous les jours, je m’assois et je te regarde. Mes yeux s’engluent aux tiens, et nous nous fixons pendant des heures. Tes yeux sont ronds et doux, je pense qu’ils sont faits d’émeraudes.

Je t’aime, ma Luvdisc. Je t’aime, et je ferai tout pour qu’on soit ensemble. Je serais toujours là pour te protéger de la sorcière. Je te cache dans ta boite à chaque fois qu’elle arrive, car si elle te voit, elle te tuera.

*

Luvdisc, mon amour, mon cœur. Je me rappelle encore du jour où je t’ai vue pour la première fois.

C’était dans la forêt, près de la rivière. Le ciel était mystérieux, ce jour-là. Il n’était ni bleu, ni gris. On aurait plutôt dit un amalgame de bleu, gris-bleu, bleu-gris. Comme l’œil d’un poisson. Les nuages se mouvaient au gré du vent comme du linge suspendu à une corde. Le soleil était là, lui aussi. Il s’était caché, mais je pouvais sentir ses rayons qui bruissaient subtilement sur mon torse. Je sentais les lames de l’herbe et les senteurs de la terre sous mon dos. La rivière s’écoulait devant moi comme un fantôme. Présente et absente à la fois. J’ai fermé les yeux.

J’ai senti la pluie qui me crachait dessus. Je me suis réveillé et j’ai paniqué. Si la sorcière était déjà rentrée elle allait me punir. J’ai rapidement ramassé mes affaires. J’allais rentrer quand je t’ai vue, étalée sur un rocher comme la queue d’une sirène.  J’ai oublié  la sorcière, j’ai tout oublié. Il n’ay avait que toi et moi. Je suis entré dans la rivière, sans prendre la peine de me déshabiller. Tes yeux me scrutaient comme deux perles vertes. Ils brillaient d’une lueur blanche, explosive. Je suis venu vers toi et je t’ai prise dans mes bras. Tu étais si légère, si fine. Le contact de ta peau contre la mienne m’a électrifié. J’ai su, dès cet instant-là, que nous étions faits l’un pour l’autre. Tu étais mon âme-sœur. Mes yeux sont tombés amoureux de tes lèvres et mes lèvres sont tombées amoureuses de tes yeux. 

Tu étais si fragile, si rouge. Je ne pouvais te laisser seule avec la rivière, elle allait te fracasser. Alors je t’ai emmenée avec moi. Il ne fallait pas que la sorcière te voie, alors je t’ai cachée dans l’armoire.

*

Elle est partie. J’ai été sage aujourd’hui. J’ai fait tout ce qu’elle m’a dit de faire. Je l’ai même laissé me caresser et m’embrasser. Je me suis lavé la bouche après. Je la déteste, mais je n’avais pas le choix, car il ne fallait pas qu’elle se doute de ton existence.

Je pars te chercher dans l’armoire. Cela fait des heures que j’attends ce moment. Je te tiens dans mes mains et je te contemple. Tes yeux-émeraudes me fixent avec tendresse. Je passe un doigt tremblant sur tes écailles rouges comme une langue. J’approche mes lèvres du rouge des tiennes. Je t’embrasse. Je ne saurais décrire cette sensation, ce summum que j’atteins alors que nos salives se touchent. Je me retrouve comme sur la lune, dans ses cratères et ses trous sombres, projeté dans une chute éternelle à travers l’espace, ou peut-être aussi que je suis propulsé sous terre, étreint par les rochers et les racines. Racines d’amour, racines de tout.

Ta bouche a un goût de fraise et d’algues. Tu sens la mer et les poissons. Je m’écarte lentement de toi. Je tremble. Je frissonne de chaleur et d’excitation.

J’ai besoin de toi, ma Luvdisc. Je t’aime tellement. Je serais toujours là pour toi. Je te protégerai de la sorcière et un jour, nous trouverons le moyen de nous en sortir. Je te le promets.

*

La sorcière dort. Je n’arrive pas à fermer les yeux. Il fait si sombre. J’ai pensé à toi toute la journée.

Tu me manques. Je n’ose pas me demander à quel point tu dois te sentir seule et abandonnée dans l’armoire. Mais je t’ai fait une promesse, et je compte bien la tenir. Notre seul obstacle, c’est la sorcière. Elle prétend que nous sommes mariés depuis dix ans, mais je ne me rappelle pas. Je vais te faire une confession : je ne sais pas qui je suis. Mon souvenir le plus ancien remonte à ce jour où je me suis réveillé dans un hôpital. La sorcière était penchée sur moi. Elle s’est mise à pleurer bruyamment. Ses larmes me coulaient dessus et me brulaient comme de la lave. Elle m’a prise par les cheveux et m’a embrassée jusqu’à ce que l’infirmière lui dise qu’elle devait me laisser.

J’habite avec elle depuis ce jour-là. Parfois elle me demande, avec une grande tristesse dans les yeux – et j’ai alors peur qu’elle se remette à pleurer – si je me souviens de quoi que ce soit. Je ne lui réponds jamais. Car je ne sais pas dire non. Je subis. Je subis ses caresses, ses larmes, son corps brûlant de passion. Je ne peux pas refuser. Parce que je sais que je dépends d’elle, qu’elle prend soin de moi même si je la déteste. Pour l’instant je vais subir, mais le jour viendra où je briserai les chaînes qu’elle m’a mises, j’en suis certain.

*

Ça y est. Je suis prêt. Je me sens puissant, aujourd’hui. Nous allons enfin pouvoir nous en aller. Je vais te chercher dans l’armoire. Ton odeur devient de plus en plus musquée. J’ai une envie folle de t’embrasser mais je ne peux pas. Pas maintenant, du moins.

Enfin ensemble, toi et moi ! Je m’apprête à franchir le seuil quand elle arrive. Non, non ! Pas elle. Ce n’est pas possible ! Après tout ce temps où j’ai attendu ce moment ! Elle ne va pas me le gâcher, elle ne va pas nous le gâcher, comme elle m’a gâché la vie. Je l’en empêcherai.

Elle te voit et pousse un cri. Je la regarde d’un œil mauvais. Laisse-moi partir, lui dis-je. Elle me demande ce qui se passe. Je lui répète de me laisser partir. Elle me demande ce qui m’arrive. Elle me demande si je vais bien. Je lui ordonne une dernière fois de me laisser partir.

Mais elle ne part pas. Elle nous regarde.

Elle va te tuer, elle va te tuer.

Je ne la laisserai pas faire. Je te dépose sur la table et me dirige vers elle. Elle n’aurait pas dû nous voir, elle n’aurait pas dû nous empêcher de partir. Elle tremble. Elle crie. Elle a peur. Elle me dit qu’elle va appeler la police. Je ne l’écoute pas. Je lui saisis la gorge. Elle n’aurait jamais dû.

Le corps d’un homme a été retrouvé ce matin par un couple de touristes sur la plage de Pereybère.

L’homme a été identifié comme T. K. qui, il y a huit mois de cela,  a été sauvé à temps des eaux mêmes où son corps a été retrouvé. En essayant de contacter les proches de la victime, les enquêteurs ont fait une macabre découverte dans son appartement : le corps sans vie de sa femme, étranglée à mort. Tout laisse à penser que T. K. aurait assassiné sa femme avant d’aller se suicider, rongé par les remords. Mais le plus étrange dans cette histoire, c’est le corps en état de décomposition d’un poisson retrouvé près du corps de la victime.

Aqil Gopee


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Ananda 2760 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines