Après un premier « succès » sur la scène internationale, en tant que médiateur entre le Hamas et Israël qui a abouti à un cessez-le-feu le 22 novembre 2012, le Président Egyptien Morsi renforce son pouvoir interne au détriment de l’état de droit, et notamment de l’indépendance du pouvoir judiciaire. Il entend « protéger la révolution ». Mais n’est-ce pas un prétexte bien pratique ?
Le Président islamiste a publié hier une déclaration constitutionnelle très controversée qui vise, selon son porte-parole M. Yasser Ali, à abolir les structures de l'ancien régime, éradiquer la corruption et purger les institutions nationales. Il a ainsi décidé de rouvrir les enquêtes et procès pour juger à nouveau les personnes accusées de crimes contre les révolutionnaires commis sous l'ancien régime et d’allouer des indemnités aux blessés de la révolution.
Mais en réalité, si M. Morsi se fait passer pour le protecteur de la révolution par quelques décisions attendues par les révolutionnaires, c’est pour mieux remettre en cause les objectifs mêmes de la révolution.
Il s’octroie en effet les pleins pouvoirs en décidant que toutes les déclarations constitutionnelles, décisions et lois émises par le président depuis son entrée en fonction le 30 juin 2012, et jusqu’à la promulgation de la nouvelle constitution et l’élection d’un nouveau parlement, sont définitives et ne peuvent pas faire l’objet d’un appel, mettant également fin à tous les recours contre ces décisions devant la justice.
Pire encore, toujours pour « protéger la révolution », le Président Morsi se réserve le droit de prendre des « mesures nécessaires ». C’est naturellement le Président lui-même qui décidera si tel ou tel acte constitue une menace pour la révolution. Pourrait-il aller jusqu’à la déclaration d’un nouvel état d’urgence au nom même de la révolution – elle-même en partie née d’une opposition à cet état d’urgence imposé depuis des années par M. Moubarak ?
Cette déclaration limite largement le pouvoir judiciaire. Le Président s’accorde le droit de nommer le procureur général par décret pour un mandat de quatre ans. Il a ainsi démis le Procureur général actuel Abdel Maguid Mahmoud pour le remplacer par Abdallah Talaat. Il s’agit d’une ingérence de l'exécutif dans le pouvoir judiciaire. Cette déclaration viole la loi organisant le pouvoir judiciaire aux termes de laquelle le Président de la République ne peut s'immiscer dans le travail du procureur général, ni le démettre ni le transférer à un autre poste.
La nouvelle déclaration interdit au pouvoir judiciaire de dissoudre l'Assemblée constituante chargée de rédiger la constitution, qui a largement perdu sa légitimité et dont l’existence même était menacée après le retrait des représentants de plusieurs mouvements et partis politiques dont ceux du parti El wafd, ainsi que les représentants des églises égyptiennes, et la suspension de la participation de 25 membres du Mouvement pour un État Civil. Un tribunal égyptien avait d’ailleurs soumis, le 23 octobre 2012, le sort de cette Assemblée au Conseil constitutionnel égyptien. En empêchant la mise en cause même de cette Assemblée constituante, le Président Morsi et son parti vont ainsi s’offrir une constitution sur mesure.
Le pouvoir judicaire perçoit à juste titre cette déclaration comme une ingérence du pouvoir exécutif. Le Président du club des magistrats d’Egypte, le conseiller Ahmad Al Zand, dénonce une violation de l’état de droit et du principe de séparation des pouvoirs. Des magistrats égyptiens menacent de démissionner si cette déclaration n’est pas retirée.
La rhétorique de la « protection de la Révolution » n’est pas nouvelle. L’histoire, de Robespierre à Castro, nous enseigne que ceux qui s’approprient la « Révolution » sont généralement les pires ennemis de la liberté visée par la révolution. Comme le concept de « Volonté du Peuple », celui de « Révolution » est un fourre-tout qui peut permettre de justifier l’oppression au nom d’une cause dite supérieure et sensée offrir la libération. Le parallèle avec certains religieux, qui disent servir Dieu alors qu’en réalité ils se servent de Dieu, est plus qu’approprié dans le cas d’espèce puisque le parti de M. Morsi adopte la même stratégie de « capture » en matière de religion.
La triste ironie de l’histoire est ici que ceux qui ont initié la « Révolution » en Égypte étaient des jeunes épris de liberté et de démocratie, et non les Frères musulmans, qui étaient restés d’abord en retrait des mouvements de contestation de l’ordre de M. Moubarak. Les démocrates libéraux égyptiens se sont bel et bien fait voler leur révolution.
Nadine Abdallah le 23 novembre 2012. Nadine Abdallah est docteur en droit et avocate.