Pablo Aldrete, 2010 (Mexique)
PAYSAGES APRÈS LA MORT
1853 : un indien, qui a échappé au génocide commis par les États-Unis, ne jure que par la vengeance des siens, tandis qu’un Mexicain abandonne tout pour partir à la recherche d’or vers le sud : Pablo Aldrete nous dépeint les rencontres des trois peuples, qui s’observent, se fuient, s’entretuent… Sans jamais ouvrir le dialogue.
1853. C’est l’année du massacre, des pelotons, d’un génocide. Les Américains, en partant à la conquête de l’Ouest, anéantissent Mexicains et Navajos sur leur passage. C’est l’année durant laquelle ont été cédés aux États-Unis les derniers territoires mexicains, dans le désert de Sonora. Les paysages, les thèmes évoqués (les guerres indiennes, la conquête de l’Ouest, la ruée vers l’or etc.) et certaines scènes des plus spectaculaires (les charges de la cavalerie, les plans resserrés sur les regards, musique de dualistes à l’appui) empruntent au western. Pour autant, dans le traitement, le réalisateur prend le chemin du documentaire. L’action est reléguée au second plan au profit du récit historique. Les scènes de combats, courtes et filmées de loin, sont rares.
La réalisation très lente, par des plans fixes, longs, contraste avec la violence des actes, excepté lorsque le Mexicain découvre son peuple décimé. Premier signe de l’affranchissement des codes du western, tournée caméra à l’épaule, la scène nous transmet sa vision du désastre et sa souffrance. Symbolisée par la main de sa défunte femme avec laquelle il se caresse le visage, ce dernier geste scelle son départ vers le Sud.
Le classicisme du western à l’américaine est encore ébranlé d’une part par le manque de soin apporté aux costumes, au maquillage, aux coiffures et accessoires, à tel point qu’il laisserait sceptique sur la fidélité de la restitution de l’époque ; certains protagonistes semblent tout droit sortis du XXIe siècle. D’autre part, c’est un film acoustique, diffusant avec une minutie plaisante l’environnement sonore : le désert balayé par le vent, le bruissement des feuilles, le crissement des insectes, les courses effrénées des mammifères, les craquements de la terre sèche sous chaque pas…
Lucile Renoux pour Preview
en partenariat avec La Kinopithèque pour la 34e édition du Festival des 3 Continents
La scène psychédélique annonçant le final du film Rio de oro mérite d’être décortiquée pour son point de vue métaphorique. Proposons en suivant une analyse de séquence en images :
Un vautour plane au-dessus du désert, annonçant la mort ; en réalité il s’agit d’un Caracara, l’aigle sacré présent sur le drapeau mexicain. Pour les Amérindiens, il représente l’Esprit. Il aide à prendre du recul, à analyser sa propre vie. L’aigle apportera l’illumination au Mexicain.
Un indien apparaît dans la clairière
Il commence à extraire la balle du torse du Mexicain…
… puis applique une mixture sur la plaie…
… et lui fait ingurgiter ce qui s’apparente à des épices ou des feuilles effritées. Il s’agit probablement de plantes hallucinogènes.
Dans un nouveau un plan d’ensemble, le sorcier indien commence à prononcer des incantations.
Soudain le Mexicain ouvre les yeux, comme possédé. Son âme s’éveille, appelée, sollicitée par les incantations du sorcier.
Les plans suivants révèlent des univers psychédéliques, des galaxies dans des tons chauds et remplies d’étoiles.
Elles semblent très mouvementées comme si elles se battaient contre une entité, symbole de la lutte du Mexicain pour revenir à la vie. Ces plans sont entrecoupés par la vision de l’Américain qui le tue d’un coup de feu ; la poudre jaillissant au centre de l’image.
Le plan suivant reprend la position et l’angle exact du corps du Mexicain vus précédemment, mais transposée dans un ciel étoilé, cependant moins agressivement que sur les galaxies. Cette scène symbolise l’âme qui s’évapore du corps, le survole, l’observe comme si corps et âme étaient devenus distincts.
Cet instant précède l’apparition de la fameuse lumière, celle qui mène au bout du tunnel. La foudre se déchaine, signe d’une nature contrariée du rappel à la vie de cet homme, à moins que ce ne soit une réaction aux incantations.
Le Mexicain se pose comme spectateur de sa vie : il entre dans le cadre, à cheval, et voit son fils. Celui-ci fait face à un religieux qui lui raconte quel homme était son père. Aucun des deux ne soupçonne sa présence.
Le garçon avance et se poste face caméra sans mot dire.
L’homme se remémore les inscriptions mystiques de la grotte qu’il a rapidement arpentée. Un caractère est clairement distinguable, un « 8 », symbole de l’infini, invitant l’homme à regarder au-delà de son horizon personnel et à envisager d’autres dimensions, un autre style de vie.
Un insecte avance dans le désert, symbole de la vie et de l’infiniment petit auquel l’Homme appartient.
Le vautour revient, sur le haut du canyon cette fois, stoïque, comme veillant sur lui.
S’ensuit un plan de cactus complètement surexposé rappelant les mirages,
… puis un gros plan de la tête du Mexicain, les yeux ouverts, réellement vivant et conscient. Il est seul, l’indien est reparti vers les siens.
On le voit ensuite dans la rivière où il a précédemment trouvé de l’or ; il sort «religieusement» la tête de l’eau signe de sa renaissance, de sa rédemption.
Il se lève, suit le cours d’eau, retrouve l’Américain qui lui a valu ce voyage initiatique et le tue.
Il lève les yeux et la vierge de Guadalupe lui apparait sur la façade du canyon ; elle lui donne une deuxième chance. En tuant cet Américain, il protège sans nul doute sa terre des envahisseurs.
La caméra suit le sang de l’Américain porté par le courant du ruisseau jusqu’à plusieurs cailloux scintillants : l’or pour lequel il a entreprit son voyage vers le Sud. Le sang mène à l’or.