Par Hong Kong Fou-Fou
Je pense qu'il ne doit pas exister un seul être humain sur Terre qui ne connaisse pas James Bond ou son créateur, Ian Fleming. Même dans la plus reculée des tribus de l'Amazonie ou sur les pentes désolées de l'Himalaya. Même au fin fond de la Creuse. Bon, au fin fond de la Creuse, éventuellement... Par contre, les personnes qui connaissent Philip McAlpine ou son géniteur, Adam Diment, doivent se compter sur les doigts de la main d'un homme-tronc.
Et pour cause. La carrière d'écrivain d'Adam Diment n'a duré que quatre ans, de 1967 à 1971. Le temps de quatre romans : "The dolly, dolly spy", "The great spy race", "The bang bang birds" et "Think Inc". Ou, dans la langue du commissaire Maigret : "Un espion à croquer", "Le rallye des espions", "Les poupées bang bang". Il m'en manque un, je sais. Je peux vous donner un des titres allemands, pour compenser : "De Pief-paf-poef poezen". Quelle belle langue, l'allemand. Pif, Paf, Pouf. Ne pas confondre avec Pim, Pam, Poum. Bref. Quatre bouquins puis il a disparu du jour au lendemain, sans laisser d'adresse. On ne sait même pas s'il a emporté sa brosse, Adam. A l'âge de 27 ans. En plein succès. A-t-il été assassiné par la pègre londonienne ? Est-il parti s'installer à Zurich, comme certains le disent ? Ou en Inde, pour s'adonner à sa passion pour certaines substances illicites ? Dans le Kent, où on prétend aussi qu'il aurait acheté une ferme ? Ou même au fin fond de la Creuse ? Nul ne le sait.
Ce que l'on sait, c'est qu'Adam Diment et Ian Fleming n'avaient pas grand' chose en commun. Quand Ian Fleming fréquentait son cercle d'officiers en retraite à la Jamaïque, Adam Diment buvait, dansait et fumait de la marijuana dans des clubs à Soho. Quand Ian Fleming arborait un blazer strict avec un noeud de papillon, Adam Diment portait Chelsea boots, chemise à jabot et hipster à rayures. Quand Ian Fleming rentrait à la maison retrouver sa femme Geraldine, Adam Diment s'affichait entouré de quelques jolies starlettes.
Même chose pour leur personnage, dans lequel d'ailleurs chacun des deux auteurs a mis une grande partie de lui-même. Tout les oppose. James Bond, c'est l'agent secret droit dans ses bottes, qu'on imagine avoir une photo de la Reine d'Angleterre dans son portefeuille et des caleçons aux couleurs de l'Union Jack. Philip McAlpine, c'est un espion forcé, les services secrets exercent sur lui un chantage pour qu'il travaille pour eux, sous peine de lui en infliger une (de peine, essayez de suivre) pour trafic de drogue. Son patron dans l'organisation, c'est Rupert Quine, un dandy exubérant qui appelle son agent préféré "mon petit coeur", "mon trésor" ou "mon coco". Essayez d'imaginer M s'adressant comme ça à Bond, tiens. Côté sexe, pareil. Dans les livres, James Bond est loin d'être le queutard qu'il deviendra au cinéma. McAlpine, lui, a une vie sexuelle débridée. Pour résumer et parce que je viens de relire "Les blancs-becs", dans le monde de l'espionnage, James Bond, c'est le "trad", Philip McAlpine, c'est le "mod". Comme pour le jazz.
Le succès a été immédiat dès la parution de "The dolly, dolly spy". Une adaptation cinématographique par United Artists était semble-t-il dans les tuyaux en 1968, avec David Hemmings ("Blow-Up", "Barbarella") dans le rôle du flamboyant McAlpine. Mais le projet ne s'est pas concrétisé. Une rumeur a circulé concernant un détournement d'argent par le producteur et Adam Diment, qui serait parti trois mois en Italie mener la grande vie, avec à son bras une jeune beauté cubaine. La baie de Naples, c'est mieux que la baie des Cochons.
Les photos d'Adam Diment sont rares. Presque rien à part la série de clichés qui illustrent cet article, parus à l'époque dans "Life" et pris lors d'une tournée promotionnelle où New York l'a accueilli comme une rock star (la Grosse Pomme d'Adam, quoi de plus normal ?). Il a fait également une petite apparition dans le film Popdown (1968) qui décrit le Londres branché de la fin des Sixties, à travers les yeux (ou tout organe équivalent) de deux aliens qui débarquent sur Terre. Il aimait les voitures de sport (le nom de son personnage est-il un hommage aux petites voitures bleues françaises ?), piloter des avions. Alors, Diment plus ? Ben non, je crois que j'ai dit tout ce qui se sait sur cet écrivain.
Pour ne pas se quitter comme ça, voici un extrait du seul roman d'Adam Diment que je posède, "The dolly, dolly spy" :
Il pleuvait fort quand notre taxi atteignit Oxford Street (...) Les retardataires attendaient leurs autobus sous les portes cochères, se précipitant de temps en temps hors de leurs abris avec des journaux du soir sur la tête. Les Anglais n'apprendront jamais. Simplement parce qu'on dit que c'est l'été, ils croient qu'ils peuvent laisser leurs imperméables à la maison (...)
- Je regrette Dathos, dit Veronica.
Elle était vêtue de sa dernière acquisition dans une boutique de King's Road qui était un croisement entre un bazar oriental et un marchand d'équipement de rugby. C'était une sorte de chose très courte couverte de fleurs bleues et jaunes qui se chevauchaient. A l'endroit du coeur, lequel était presque visible car la chose descendait aussi bas sur la poitrine qu'elle remontait haut sur la cuisse, il y avait un coeur rose vif (...) De plus elle était tellement bronzée qu'elle avait renoncé à mettre des bas. Veronica était à peu près aussi nue qu'on peut l'être de nos jours sans se faire arrêter pour attentat à la pudeur.
- Moi aussi. L'Angleterre est quelque chose à quoi il vaut mieux penser. On peut imaginer que c'est très vert et très doux. Que c'est rafraîchissant et accueillant après la chaleur des tropiques. Mais mieux vaut ne pas revenir pour se rendre compte sur place.
Notre taxi se traînait dans Park Lane tandis que les Midget MG et les Mini Cooper exécutaient des danses lascives et dangereuses tout autour. Rupert Henry Quine, notre employeur commun, nous avait demandé d'aller le voir. Pas au bureau mais chez lui.
- Il nous a probablement invités chez lui parce que c'est là qu'il procède à ses exécutions, avais-je dis d'un ton sombre. Quand il fait des taches de sang sur le tapis de son bureau il est obligé de fournir des explications au ministère des Travaux publics (...)
- Peut-être, dit-elle, regardant d'un air maussade le Playboy Club où la plupart de ses amies avaient travaillé à un moment ou à un autre, peut-être a-t-il simplement envie d'être gentil avec nous.