Il est interdit d’usurper le rôle du tribunal en préjugeant d’une l’affaire
Par Vérité Justice
La règle de sub judice n’interdit pas de rendre compte de manière factuelle d’une instance judiciaire, pourvu que le commentaire n’ait pas pour effet d’usurper le rôle du tribunal en préjugeant de l’affaire. La règle est violée dans le cas d’une déclaration qui enjoint au tribunal de prendre une certaine décision, qui fait état des forces ou des faiblesses d’un jugement porté en appel ou susceptible de l’être, ou d’un dossier dont la justice est saisie.
Ce principe existe essentiellement pour assurer l’indépendance et l’impartialité du tribunal. Elle existe aussi afin d’établir et de maintenir un climat de sérénité autour de toute affaire judiciarisée, qui permet aux parties de présenter leur cause sans entrave et sans pression externe, et au juge de rendre sa décision en toute quiétude. Cette règle existe finalement afin d’éviter que ceux qui ont l’oreille du public puissent nuire par leurs propos à l’appareil judiciaire.
Cette règle est par contre rarement invoquée devant les tribunaux à cause du peu de chance de réussite. Bien souvent la règle est utilisé en matière d’outrage au tribunal ou envers les médias afin qu’ils ne dévoilent pas trop d’informations sur une cause pendante devant la Cour.
Évidement les médias possédant une force de frappe assez impressionnante ne se gêneront pas pour invoquer la Charte en rapport avec la liberté d’expression, d’opinion et surtout la liberté de presse.
J’emprunterais, sans vouloir les utiliser dans un contexte différent, les propos suivants du juge Chevalier dans Lortie c. R. où l’on voulait diffuser des vidéos durant le processus d’appel, ce qui fut refusé par la majorité. Certes, les vidéocassettes dans l’affaire Lortie, une tuerie à l’Assemblée nationale du Québec, étaient troublantes, et le juge du procès en avait interdit la diffusion, une décision qui n’a pas été portée en appel, mais je trouve le principe abordé par le juge Chevalier d’une grande sagesse et pertinent à notre cause:
«Le principe de la prudence à exercer pendant qu’une affaire est sub judice ne s’applique pas seulement aux acteurs immédiatement impliqués dans le processus judiciaire. Je ne vois pas pourquoi on ne prendrait pas les mêmes précautions à l’égard de tierces parties, qu’elles s’appellent le public ou un mass media.»
Prenons un exemple
[26] En dernier ressort, les demandeurs invoquent que la décision entreprise viole la règle du sub judice du fait que la Cour supérieure était, à l’époque, saisie d’une requête en révision judiciaire ayant pour trame le conflit de travail au Journal de Montréal.
[27] Le défendeur plaide que la décision du 29 octobre 2009 porte sur l’exercice d’un privilège parlementaire reconnu, soit le droit d’exclure les étrangers de l’enceinte de l’Assemblée et de ses environs. Ce privilège est empreint d’une portée constitutionnelle tout aussi fondamentale que les droits et libertés garantis par la Charte canadienne.
[28] Le Président soutient que la présente requête invite le Tribunal à se substituer au défendeur en lui dictant comment gérer l’accès à l’enceinte de l’Assemblée nationale et aux édifices parlementaires, et comment assurer l’ordre et le bon déroulement des travaux de l’Assemblée nationale.
[29] Il fait également valoir que les tribunaux ont pour tâche de constater la nature et la portée d’un privilège parlementaire, mais non d’en apprécier l’exercice, « sous peine d’enfreindre la règle de la division des pouvoirs entre le Législatif et le Judiciaire ».
[30] Le défendeur nie vigoureusement avoir abdiqué d’une manière quelconque son privilège au profit de la Tribune, de même que la violation alléguée par les demandeurs de la règle du sub judice.
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[55] Corporation Sun Média et Donald Charrette invitent le Tribunal à conclure que le refus d’accréditation leur ayant été imposé constitue une atteinte ultime et irrémédiable les privant d’exercer leurs droits légitimes à la liberté de presse, à la liberté d’expression et au droit du public à l’information. Bien qu’ils s’en défendent, les demandeurs sollicitent en réalité un contrôle judiciaire de l’exercice d’un privilège parlementaire reconnu et d’une portée absolue. Le Tribunal ne peut agréer à cette demande. Le privilège d’expulsion étant reconnu, le Tribunal n’est pas habilité à s’interroger sur les fondements de la décision entreprise quant au refus d’accréditer les journalistes Charrette et Gagnon. Il ne s’agit pas simplement de faire preuve de déférence à l’égard de la décision du défendeur, mais bien de respecter le principe fondamental de la séparation des pouvoirs gérant nos institutions démocratiques.
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[64] Les demandeurs plaident finalement que la décision entreprise constitue une violation de la règle du sub judice, du fait que la Cour supérieure était, à l’époque, saisie d’une requête en révision judiciaire ayant pour trame le conflit au Journal de Montréal.
[65] Aucun élément de preuve n’étaie substantiellement cette prétention. Rien n’indique que le défendeur ait commenté de quelque façon que ce soit cette affaire pendante ou, plus généralement, pris position en faveur d’une partie ou d’une autre dans ce conflit de travail. Le Tribunal note d’ailleurs que le procureur des demandeurs n’a pas insisté sur ce point dans sa plaidoirie.
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