La vie en société comporte l’obligation de respecter les différences de nos concitoyens!
Par Vérité Justice
On ne choisit pas dans quel pays nous venons au monde mais nous sommes en mesure, avec le temps, de choisir dans quel pays nous aimerions vivre et élever nos enfants.
L’adaptation à un autre pays que le notre est pour toutes personnes immigrantes difficile mais lorsque cette difficulté s’attaque aux enfants en garderie, le Tribunal doit intervenir afin de sauvegarder la dignité de chacun.
Les défendeurs devaient savoir qu’ils blesseraient la plaignante en tenant l’un comme l’autre à son endroit des propos discriminatoires tel que le précise un jugement rendu le 5 octobre 2012 devant le Tribunal des droits de la personne.
[1] Le Tribunal des droits de la personne (ci-après le «Tribunal») est saisi d’une demande introductive d’instance par laquelle la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (ci-après la «Commission»), agissant au nom de madame Hanane Bricha, allègue que les défendeurs, madame Chafia Abdelkader et monsieur Ammar Abid, ont porté atteinte de manière discriminatoire au droit de madame Bricha à la sauvegarde de sa dignité et de sa réputation, en l’insultant et en tenant à son endroit des propos fondés sur son origine ethnique ou nationale ou sur sa religion, le tout contrairement aux articles 4 et 10 de la Charte des droits et libertés de la personne(ci-après la «Charte»).
[..]
[5] Madame Bricha est d’origine marocaine et de confession musulmane. Elle vit au Canada depuis 2001.
[6] De 2008 à 2011, madame Hanane Bricha a été responsable d’un service de garde en milieu familial. Elle a fermé sa garderie en juillet 2011 pour profiter d’un congé de maternité.
[7] La fille des défendeurs, née le 10 décembre 2007, a fréquenté la garderie de madame Bricha du 1er septembre 2009 jusqu’à la fin du mois de mai 2010.
[..]
[15] À la suite de cet appel, madame Bricha téléphone aux défendeurs. Elle parle d’abord à monsieur Abid. Elle lui souligne que c’est elle qui est responsable de ce qui se passe dans son service de garde et lui demande pourquoi il ne s’est pas adressé à elle plutôt que d’appeler la mère de l’autre enfant. Comprenant que ce sont les enfants rencontrés au parc qui ont dit à monsieur Abid que sa fille était battue, elle lui dit qu’il «n’est pas de son niveau»[1] d’interroger des enfants et de les croire ainsi sur parole, sans vérifier leurs dires auprès d’elle. Le défendeur lui reproche pour sa part de ne pas faire son travail en n’empêchant pas les autres enfants de battre sa fille. Il est très agressif, la traite de «sale arabe» et déplore d’avoir inscrit son enfant à une «garderie musulmane». Estimant être incapable de travailler dans un tel climat, madame Bricha lui suggère de changer de garderie s’il n’est pas satisfait de ses services et qu’il ne lui fait pas confiance. Ensuite, elle parle à madame Abdelkader qui l’insulte de la même façon.
[16] Après avoir raccroché, madame Bricha est en pleurs. Compte tenu de l’agressivité du défendeur et puisque son mari est en déplacement à l’extérieur, elle a peur pour sa sécurité.
[..]
[19] Le samedi 29 mai, vers 10h00, deux femmes que madame Bricha ne connaît pas lui téléphonent afin de lui demander si elle est au courant des informations qui circulent à son propos sur le site Web Kijiji (ci-après: «Kijiji»). Madame Bricha se rend sur le site et prend connaissance de l’annonce la concernant[2]. Elle en imprime aussitôt une copie.
[20] Le Tribunal a pu prendre connaissance de ce texte intitulé «ATTENTION FAUT JAMAIS DONNER CONFIANCE A CETTE GARDERIE». Il y est allégué que madame Bricha néglige les enfants qui sont sous sa responsabilité en les nourrissant mal, en ne changeant pas leurs couches, en criant devant eux et en tolérant que les plus âgés battent les plus jeunes. Le texte se termine de la manière suivante: «je termine a vous dire que cette gardienne est marocaine musulmane elle essai même de convertir les enfants dans sa religion»(sic). Les coordonnées de madame Bricha y sont indiquées.
[21] Madame Bricha constate qu’un second message[3] a été laissé sur le blogue de la garderie auquel tous les parents ont accès. Le Tribunal a aussi pu prendre connaissance de ce texte. On peut y lire: «j’aurais due l’emmener chez une autre garderie non musulmane et non arabe sale arabe hypocrite […] moi je suis juive algérienne, mon mari est un musulman mais pas arabe parce que les arabes on les aimes pas on les détestes bcp» (sic).
[..]
[61] La Commission allègue que, d’une part, le défendeur a adressé à madame Bricha des insultes fondées sur sa religion et son origine ethnique ou nationale lors d’une conversation téléphonique. La plaignante a témoigné que pendant cette conversation, le défendeur l’a traitée de «sale arabe» et a dit déplorer d’avoir inscrit son enfant à une «garderie musulmane». Le défendeur a pour sa part affirmé que seule son épouse avait parlé à madame Bricha lors de cet appel téléphonique.
[62] La Commission allègue que, d’autre part, les défendeurs ont tenu des propos à caractère raciste et discriminatoire au sujet de madame Bricha sur Kijiji et sur le blogue de son service de garde le 29 mai 2010. Le Tribunal a pu prendre connaissance des textes qui ont été publiés sur ces sites. La défenderesse admet en être l’auteure et dit les avoir publiés à l’insu de son mari. Le texte paru sur Kijiji aurait été rédigé en partie par le défendeur, mais était destiné au ministère des Aînés.
[..]
[69] À plusieurs reprises, le Tribunal a reconnu que des insultes fondées sur l’origine ethnique ou nationale constituent une atteinte au droit de toute personne de jouir sans discrimination de son droit à la sauvegarde de sa dignité[15]. Ainsi, le défendeur a très clairement contrevenu à la Charte en traitant la plaignante de «sale arabe». Dans le contexte, l’expression «garderie musulmane» revêt aussi un caractère discriminatoire. Objectivement, le fait que madame Bricha soit musulmane n’a rien à voir avec le service de garde dont elle est responsable. Pourtant, le défendeur y a fait référence comme si cela était susceptible de diminuer la qualité du service offert. En utilisant la religion comme insulte, le défendeur porte atteinte, de manière discriminatoire, au droit à la dignité de madame Bricha.
[70] Les propos publiés sur Kijiji et sur le blogue de la garderie contreviennent également aux articles 10 et 4 de la Charte. Le texte paru sur Kijiji contient de nombreuses critiques à l’endroit du travail et du caractère de madame Bricha, (il y est écrit que celle-ci nourrit mal les enfants qui lui sont confiés, ne change pas leurs couches, leur fait peur en criant contre eux et tolère qu’ils se battent entre eux.) et se conclut de la manière suivante: «je termine a vous dire que cette gardienne est marocaine musulmane elle essai meme de convertir les enfants dans sa religion» (sic). Cette fois encore, il est fait référence à la religion de la plaignante comme s’il s’agissait, en soi, d’un élément répréhensible. Le fait que la plaignante soit marocaine et musulmane apparaît comme le point culminant de la longue énumération de reproches qui lui sont adressés. La référence à la religion et à l’origine nationale de la plaignante participe d’une attaque personnelle à son endroit et devient, de ce fait, discriminatoire.
[..]
[87] Le Tribunal souligne que les agissements des défendeurs doivent ici être envisagés comme un tout. Selon le témoignage de madame Bricha, la défenderesse était aux côtés de son mari lorsque ce dernier l’a traitée de «sale arabe». Madame Abdelkader réclamait le téléphone et s’en est servi pour insulter à son tour la plaignante de la même façon. Quant au texte paru sur Kijiji, bien que la défenderesse prétende être la seule responsable de sa publication, il ressort des témoignages des défendeurs qu’ils ont tous deux participé à sa rédaction. La lecture du texte permet d’ailleurs de constater que certains segments ont été rédigés par monsieur Abid et d’autres par madame Abdelkader, sans qu’il ne soit possible cependant de déterminer avec exactitude qui a écrit les passages à caractère discriminatoire. Dans ce contexte, les défendeurs doivent être tenus responsables solidairement.[21]
[..]
[91] Ainsi, le Tribunal n’a aucune difficulté à conclure que l’atteinte aux droits de madame Bricha était intentionnelle au sens de l’article 49 de la Charte québécoise. Les défendeurs devaient savoir qu’ils blesseraient la plaignante en tenant l’un comme l’autre à son endroit des propos discriminatoires. Comme le soulignait le Tribunal dans l’affaire Lamarre, même lorsqu’elle est submergée par ses émotions, une personne raisonnable ne perd pas «toutes balises relativement à ce qui est permis et ce qui ne l’est pas dans la vie en société»[25].
Pour lire l’intégralité du jugement: cliquer ici