Les fesses sont un signe d’humanité

Publié le 21 novembre 2012 par Nadegemambe @nadegemambe

Adieu les pétards osseux ? Sur les traces des Brésiliennes qui chouchoutent leur «siège du désir», des Américaines se font gonfler les fesses. Mais que représente ce bout d’anatomie ? Entretien avec Elisabeth Azoulay, ethnologue, coauteure de 100 000 Ans de beauté (éd. Gallimard).

Pourquoi ce retour du postérieur potelé ?

D’abord, les fesses ne sont pas n’importe quelle partie de notre anatomie. Elles sont un signe d’humanité. Je m’explique : nous sommes le seul primate exclusivement bipède et doté, de ce fait, d’un grand muscle qui forme un fessier rebondi. Chez les autres primates, la sexualité est balisée par la couleur, véritable signe d’appel de cette partie, d’ailleurs très visible, de leur anatomie. Les humains, eux, signalent cette portion du corps par un relief, de moins en moins occulté par le vêtement. Notre sexualité est guidée par la culture et l’imaginaire. Elle est psychosociale et échappe aux automatismes. C’est ce qui explique qu’à certaines époques et dans certaines sociétés nous investissons le fessier d’un pouvoir érotique plus ou moins important.

Comment analysez-vous le récent recours à la chirurgie des fesses ?

L’offre joue un rôle clé. D’autant plus que la technique progresse et propose maintenant l’injection de sa propre graisse plutôt que celle de produits de synthèse. C’est plus rassurant et, compte tenu du temps que nous passons assis, sans doute plus confortable. Reste à savoir pourquoi et comment on passe à l’acte. Depuis le début du XXe, avec la disparition des grandes famines en Occident et l’avènement des loisirs, dont les séances en maillot à la plage, un idéal de minceur s’est imposé. Le problème, c’est qu’il efface aussi les seins et les fesses. Or, notre société fait émerger des fantasmes et des injonctions contradictoires : être mince tout en ayant une opulence localisée. Comme l’idée de transformer son corps est ancrée dans notre culture, certaines passent à l’acte et modèlent le leur comme elles corrigent leurs portraits sur Photoshop.

Quand a-t-on le plus exalté les fesses rondes ?

Dans l’histoire de l’art, on constate un mouvement de balancier. A la préhistoire, l’érotisme est lié à la survie du groupe. Les fameuses Vénus découvertes en Europe incarnent un canon de beauté bien connu : délibérément représentées sans visage, elles ont des seins et des fesses généreuses. Chez ces chasseurs-cueilleurs, c’est le corps lui-même qui stocke la nourriture, surtout celui des femmes qui pourvoit aux besoins de l’enfant à naître. Quand l’agriculture apparaît, la donne change. Les aliments sont produits et stockés autrement. Du coup, certaines cultures prônent la minceur. Ainsi, les Egyptiens accentuent la sveltesse des corps juvéniles et graciles en les faisant figurer de profil. C’est une longue oscillation dans les représentations qui débute, avec les fesses d’hommes et de femmes très musclées de Michel-Ange, les plantureuses de Courbet, Rodin, Maillol, Renoir, Botero… Et puis il y a Rubens qui, après un Moyen Age encensant des anatomies quasi anorexiques, montre des corps généreux. Il faut dire que la Compagnie des Indes vient d’importer le sucre en Occident…

Mais, dans la «vraie vie», on les cache, ces fesses.

Ce qui est amusant, c’est qu’il y a une interversion des rôles entre les hommes et les femmes. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, l’attention se concentre sur le haut de l’anatomie féminine, au-dessus d’une taille étranglée : un beau visage, un décolleté et de jolies mains… D’amples étoffes dissimulent le bas du corps, et ce sont les hommes qui portent des collants et des chausses soulignant la forme de leurs fesses. Ils finiront par les camoufler dans des pantalons moins moulants, tandis que les femmes s’approprieront collants et vêtements près du corps pour érotiser le bas de leur silhouette.