Un texte d'Umar TIMOL (Île Maurice).

Par Ananda

Je sais le bruit du monde. Je sais l’horreur du monde. Et pourtant j’écris. J’écris. Et qu’est-ce que l’écriture ? Un acte de vanité. Le défouloir du narcissisme. La célébration du moi. J’écris et je suis convaincu que c’est important. Je désire laisser une trace. Je suis en quête d’immortalité. Là-bas les gens meurent de faim, là-bas on tue les enfants, là-bas on massacre les familles, là-bas on s’entretue pour l’argent et le pouvoir et moi j’écris. Je suis ainsi confiné dans ma petite bulle et j’écris. J’écris de la poésie, des nouvelles, des romans, je n’arrête pas d’écrire. Je parle de moi, de ma petite vie alors que le monde s’écroule sous le poids de la folie. J’écris alors que là-bas un enfant vient de mourir, à cet instant. A cet instant précis. Je veux ciseler la beauté dans la matière des mots alors qu’un enfant vient de mourir. Je veux créer tant de beauté pour époustoufler le lecteur alors qu’un enfant vient de mourir. Je veux fonder la perfection alors qu’un enfant vient de mourir. Mais ce ne sont pas que des mots. Il faut bien comprendre ce que cela veut dire. Il faut l’incinérer dans son cœur. Il faut comprendre qu’un obus a démantibulé le corps d’un enfant. Il faut comprendre la dissection du corps. Il faut comprendre qu’il n’est peut-être pas mort de suite. Qu’il a souffert. Mais ce n’est pas de la souffrance. C’est bien plus que ça. Est-ce qu’il vous est arrivé d’enfoncer un couteau dans votre ventre ? Savez-vous la souffrance ou pas ? Une bombe a démantibulé le corps d’un enfant. Maintenant. A cet instant. J’entends parfois sourdre en moi la souffrance des autres. J’entends parfois en moi le bruit des bottes. J’entends parfois en moi le martellement des mitraillettes. J’entends parfois en moi les cris des femmes violées. J’entends parfois en moi les larmes des enfants morts. J’entends parfois en moi les relents des génocides. J’entends parfois en moi le souffle des apocalypses. Mais je suis égoïste. J’éloigne le bruit du monde. Je l’enrobe de silence. Et j’écris. J’écris parce que je suis vain, j’écris parce que j’aime les mots, j’écris parce que je suis en quête, j’écris parce que je veux l’immortalité. Alors que là-bas on crève. Mais je ne dois pas y penser. Il faut perpétuer son narcissisme et ses petites vanités, il faut cultiver son petit moi, elle est belle la plante du moi, il faut la nourrir tous les jours, lui donner à boire et à manger, la câliner, lui dire qu’elle est la plus belle, il lui faut des compliments, il lui faut de l’affection, sinon elle risque de tomber malade et même de mourir. Et d’une telle mort on n’en veut pas. Surtout pas. Une telle mort est un scandale. J’écris. Je continue d’écrire alors que je sais l’horreur du monde. Que feras-tu un jour quand elle se mettra à frapper à ta porte ? Que feras-tu ? Est-ce que tu écriras encore ou est-ce que tu cesseras la vanité pour enfin commencer à vivre ? Que feras-tu ?

Umar Timol