Certains diront que cette chronique arrive après la guerre, que la hype Kendrick Lamar est déjà au firmament et qu’on ne vient qu’enfoncer des portes ouvertes. Il faut alors comprendre que l’on a préféré prendre notre temps face à une oeuvre qui risque de faire date et, justement, on ne voulait pas écrire pour écrire sur ce disque qui mérite une vraie implication.
Il faut se souvenir déjà qu’il y a quasi un an jour pour jour, on était déjà là pour saluer la naissance d’un artiste qui allait forcément marquer le rap de son empreinte alors qu’il venait à peine de signer chez Interscope et que son Section.80 créait l’unanimité autour de lui.
Oui Kendrick est considéré comme « le futur de la West Coast », adoubé par ses pairs/pères Dr Dre, Snoop Dogg ou The Game, l’un des premiers à avoir cru en lui, mais réduire le freshman XXL 2011 à cette accroche tellement facile et usée jusqu’à la moëlle est injuste tant l’homme mérite un vrai statut à part. Il n’a d’ailleurs pas attendu l’aval des anciens pour faire son trou avec son propre style au sein de Black Hippy avec d’autres MC’s du futur (Jay Rock ou Schoolboy Q pour ne citer qu’eux) et susciter l’engouement des fans de rap. Mais c’est sûr que lorsque le doc Dre décide de faire de toi sa prochaine égérie, tu gagnes en exposition et en moyen pour t’imposer. Autant en profiter alors.
Sauf que K-Dot n’est pas un pantin de plus dans l’univers Interscope et a su se démarquer de ses prédécesseurs d’entrée de jeu. Là où les signatures estampillées André Young s’étaient laissées guider de A à Z (Eminem, 50 Cent, Game), le « good kid » préfère mener son bateau. Pas de guests exceptionnels, pas une liste de producteurs de renom pour créer du hit (tout juste un Pharrell Williams et un Just Blaze), le bonhomme s’est entouré des siens et à l’écoute de l’album, on ne peut qu’approuver ce choix.
Phrase bateau mais phrase quand même: Kendrick fait du Kendrick. Et on en attendait et espérait pas moins. On replonge pendant une heure dans le monde en slow-motion du noir hippie, rempli de samples improbables (de Janet Jackson à Al Green en passant par Beach House) et de références culturelles qui nous parlent à nous, jeunes branleurs. Il faut dire que le mec a du génie pour ce qui est de retranscrire à l’écrit des histoires complexes, souvent personnelles comme ce rapport à la bibine en pleine jeunesse sur le premier single Swimming Pool (Drank). Oui, le type est capable de te faire bouger la nuque de haut en bas sur une histoire d’alcoolisme. Propre.
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Kendrick Lamar – Swimming Pool (Drank)
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Proclamé « Nas de la West Coast » par The Game, il est vrai que certaines similitudes existent entre les deux artistes. Cette facilité à se glisser sur diverses productions, à créer une atmosphère particulière, à user de métaphores en tout sens. Oui, cet album peut parfois renvoyer au Nas époque Illmatic et doudoune Fila. Mais là où Nasir privilégiait les lyrics à la technique, Kendrick ne met rien de côté, et ça c’est super balèze. Changement de voix, de variation, de flow et même maitrise de refrain, le natif de Compton est au-dessus de tout. Parfois trop à en devenir nonchalant -c’est aussi l’ambiance qui veut ça- mais il n’y a qu’à écouter son kiff perso sur le Backstreet Freestyle pour se rendre compte de l’arsenal du mec. Production Hit-Boy (qui porte décidément bien son nom), ambiance à la A Milli et Kendricktient un vrai grand moment de mceeing.
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Kendrick Lamar – Backstreet Freestyle
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Il faut le dire, le mec a vraiment tout pour plaire. Du fan de rap de base au lecteur lambda de Pitchfork. On passe du rap hardcore de M.A.A.D City avec ce bon vieux MC Eight à l’ambiance feutrée d’un Bitch Don’t Kill My Vibe jusqu’au chill ultime de Money Trees qui reprend donc un sample de Beach House, groupe ultra-favori des hipsters amoureux. Et le tout en restant super homogène et parfaitement dans l’esprit d’ensemble. Un esprit qu’on pourrait qualifier de mélancolique aux premiers abords mais qui semblent définitivement être du désabusement d’un garçon qui a connu beaucoup trop de choses fortes pour un mec de 25 piges à peine. Cette lucidité amère atteint des sommets de justesse sur Sing About Me, I’m Dying of Thirst, douze minutes durant lesquelles Kendrick pose un storytelling sur cette adolescence difficile. Magnifique.
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Cet album reste tiraillée entre la douce folie et l’intelligence de son protagoniste. Il ne peut pas en être autrement pour mener avec autant de maturité un tel album où la direction artistique semble lui appartenir tout entier. Bien plus autobiographique que Section.80, ce journal plus si intime parvient à nous rappeler une époque pas si lointaine où le rap pouvait être vecteur d’exercice de style et de musique cinématographique. Là où la recherche de singles et la pression de la maison de disque en découlant n’existaient pas vraiment.
Ironie du sort, le seul morceau dispensable est le vrai single du disque, à savoir Compton en compagnie de Dre himself. Le titre est très bon, avec une énorme production de Just Blaze mais il ne colle pas avec le reste du CD. Mettons ça sur le plaisir personnel de poser avec une de ses idoles de toujours. Ou une façon de mettre un peu de champagne dans cette carte postale d’un monde qui en manque cruellement.
On dit souvent qu’un classique se construit avec le temps mais force est de constater que ce Good Kid M.a.a.d Cityréunit tous les ingrédients pour le devenir très rapidement. Ce cliché instantané dans une époque où tout va très vite est de l’or en barre et il est déjà certain que cet album marquera son temps.
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Kendrick Lamar – Money Trees (feat. Jay Rock)
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