WINOCK, Michel, Le siècle des intellectuels, Editions du
Seuil, 1999.
L’histoire des intellectuels en France commence avec l’affaire
Dreyfus. Curieusement, elle ne me semble pas tant l’histoire de personnes, que
d’une sorte de mise au point. L’homme découvre la raison et cherche comment il
pourrait bien l’utiliser. Et, pour cela, il va commencer par épuiser les
erreurs possibles.
L’affaire Dreyfus est le mythe fondateur de l'intellectuel. C'est une bataille pour son droit à peser dans les affaires de la nation.
Il affronte les forces du conservatisme et de la tradition. Pour elles,
l’innocence de Dreyfus ne compte pour rien en comparaison du primat des valeurs éternelles de la nation. Avec la première guerre, l’intellectuel se détache du matériel
(Surréalisme). C’est la pensée pour la pensée. La montée du fascisme le ramène à ses
racines combatives mais sans qu’il perde son détachement des choses du monde.
Il est pacifiste. Et il ne voit l’ennemi qu’en France. Constatant à nouveau son
erreur, il devient « engagé » après la seconde guerre mondiale. Cette
fois, ses luttes son sectorielles, en quelque sorte. Et l’indigence
de sa pensée est consternante. Par exemple, il semblerait qu’il ait cru que le
Parti Communiste était porteur des valeurs du peuple, le bien. Le PC était donc le bien. Point ! Du naufrage du communisme va émerger la figure de Raymond Aron, c’est-à-dire,
je crois, le mode de pensée anglo-saxon.
Qu’est-ce qu’un intellectuel ? C’est peut-être Julien
Benda qui le définit le mieux. L’intellectuel est le défenseur de l’universalisme
et de valeurs (justices…) absolues. L’intellectuel n’est donc pas quelqu’un qui
s’interroge, mais un Tartuffe, qui veut imposer des idéaux, que son comportement trahit. C’est un idéologue et un totalitaire. Voilà peut-être
pourquoi l’intellectuel français est en faillite.
De même, ce n’est pas tant un penseur qu’un écrivain. Etre
jugé comme un bon écrivain vaut, d'ailleurs, sauf-conduit. La prospérité d’un grand nombre
de collabos le prouve. Fait significatif, le livre de Michel Winock s’inscrit
sous le patronage de Barrès, Gide et Sartre. Ils ont dominé leur époque, mais plus
personne ne les lit ! Le pouvoir d’influence de l’intellectuel
compterait-il plus que sa pensée ?
Michel Winock paraît croire qu’il va se transformer. De leader d’opinion, idéologue universaliste et grégaire, il deviendrait acteur
sans-grade de la construction d’une démocratie modeste. Pour cela, il devrait acquérir
la capacité de penser par soi-même. Mais, quitte à rêver, ne serait-il pas mieux
d’espérer un monde où tout homme est responsable, et capable de penser seul ? me suis-je demandé.
Car, ce livre m’a fait penser à la thèse de Jean-Baptiste Fressoz. Et si l’intellectuel était l’idiot utile du progrès capitaliste ?
Michel Winock dit que l’intellectuel est le représentant du spirituel, de l’éthique.
C’est le nécessaire contrepoids aux puissances matérielles poussées par leur
seul intérêt égoïste. Et si la fonction de l’intellectuel était de nous bercer
d'illusions ? D’endormir les freins au changement ? De
permettre à son moteur, l’agent économique, de faire son job à plein régime,
sans avoir à écouter sa conscience ? Mieux, de le réveiller lorsque l'accumulation de privilèges le fait sombrer dans le conservatisme ?
Michel Winock ne dit-il pas que l’intellectuel est « l’agent du changement » ?