Benoit Hamon n'est pas qu'incompétent et stalinien, il est aussi ministre. Je sais, cela peut surprendre quelques uns d'entre vous qui n'êtes pas au courant tant l'information est passée inaperçue. Mais pourtant, il a bien un petit maroquin de délégué à l'Economie Sociale et Solidaire ce qui est, quand on y réfléchit deux secondes, une appellation foutaisique reconnue presque aussi grosse que le Redressement Productif, et qui lui permet de réclamer un doublement des SCOP en 5 ans.
Si vous ne savez pas ce qu'est une SCOP, vous avez intérêt à vous renseigner rapidement puisque c'est manifestement l'avenir en France si l'on en croit les efforts plus ou moins organisés de Ben le Délégué. Et si vous en voulez une définition rapide à la grosse louche, disons que la SCOP est une version à la française du kolkhoze ou du kibboutz, avec les mêmes perspectives réjouissantes sur le long terme. Oui, bon, c'est à la grosse louche, hein.
C'est dans le cadre du 35ème congrès de ces SCOP que notre éternel lycéen en grève a voulu marquer les médias. Comme les grands avaient précédemment parlé de "choc de compétitivité", le brave garçon a décidé que, de son côté, il pouvait bien aussi être un homme de choc, à défaut d'être chic et quitte à sortir un gros chèque. Il a donc promis ce vendredi 16 novembre "un choc coopératif" pour doubler en une poignée d'années le nombre de sociétés coopératives et participatives.
Comme dans toute tempête de bisous, il faut des modes opératoires pour arroser tout le monde, Ben le Délégué propose, dans le cadre d'une grande et belle loi ESS (Économie Socialiste et Soliloque) illisible avec plein d'alinéas écrits tout petit, de renvois et de notes amphigouriques, de mettre en place quelques mesures ambitieuses de sabotage d'une idée presque innocente et qui ne lui avait rien demandé. Ainsi, un nouveau statut transitoire va d'abord être créé pour faciliter la constitution ou la reprise d'entreprises, en dissociant la majorité en capital de la majorité des droits de vote. Ainsi, celui qui mettra l'argent sur la table n'aura pas forcément le plus de droits de vote. On voit alors immédiatement l'intérêt pour ce dernier d'investir puisqu'il n'aura pas son mot à dire.
Dans la foulée, et puisque les salariés peuvent être intéressés par la reprise de leur entreprise (SCOP ou non), on va introduire un droit de préférence de rachat, avec une proposition de cession aux salariés et un temps de réflexion nécessaire, parce que (et on ne le dit jamais assez), être propriétaire, en France, s'entend toujours "après l’État". Après tout, s'il est assez puissant pour distribuer ainsi autant d'argent, il est aussi assez puissant pour tout vous prendre. Et comme tout ceci est tout de même particulièrement lourdingue à faire digérer à tout le monde (il y a de la loi, il y a de la contrainte, il y a des bonnes idées réchauffées depuis 70 ou 80 ans qui méritent donc d'être prémâchées longuement avant de pouvoir être avalées), Ben le Délégué a annoncé l'édition d'un sympathique petit kitounet de présentation du modèle de Scop à destination des juges consulaires, des parquets et des avocats, "pour encourager chaque fois que c'est possible la reprise d'entreprises à la barre". La longue tradition des kits en provenance directe de ministères donne immédiatement une indication précise de la valeur qu'on pourra accorder à la démarche.Et pour finir, ne voulant pas repartir sans brûler une petite montagne de cash comme lui ont montré ses grands frères, le gentil Ben a décidé la création d'un guichet d'accueil spécifique, au sein de la future Banque Publique d'Investissement qui va injecter et faire exploser des sommes considérables dans les petits pistons de l'industrie française afin de faire rugir de plaisir le moteur économique national, vroum vroum vroum. Pour cela, 500 millions d'euros seront fléchés vers l'économie socialiste, c'est-à-dire que les coups et les horions pleuvront moins sur ceux qui s'engagent dans ce genre d'aventures que sur ceux qui s'obstinent à penser rentabilité, enrichissement personnel, marges et retour sur investissement. Paf.
Ceci dit, on ne peut s'empêcher, au contraire du gentil Délégué, de se poser quelques questions importantes : tout frémissant d'importance à l'idée de faire comme les grands et de modifier la société à force de grosses lois baveuses et de grands coups de millions d'euros qu'il n'a pas, notre aimable minustre ne semble pas s'interroger le moins du monde sur le constat pourtant évident que si les SCOP, c'est si génialissime que ça, pourquoi tout le monde ne se précipite-t-il pas tout entier dans cette aubaine ?
Après tout, les avantages à se lancer dans une belle aventure collective sont nombreux si l'on en croit la fiche Wikipédia. En outre, le secteur est en plein essor si l'on en croit les chiffres de la confédération des SCOP. Et sur le papier, il semble qu'effectivement, l'idée générale de créer des entreprises entre salariés soit tout à fait louable. Et pour qu'un ministre s'entiche de l'idée et décide d'y claquer rediriger un demi-milliard d'euros, c'est que -- forcément -- ça doit motiver les foules, non ?
Mais voilà : en France, les SCOP, c'est le nombre époustouflants de 40.000 salariés, soit 0.15% de la masse salariale française, dont seulement la moitié effectivement associés à la structure dans laquelle ils travaillent. Ce n'est pas exactement l'engouement. Même les auto-entrepreneurs ont fait mieux, dans leur temps. Je tiens à le dire ici tout de suite : je ne sais pas pourquoi. Peut-être les Français ne savent-ils pas que ça existe (les benêts) et échappent ainsi d'un cheveu au bonheur collectif ? Peut-être n'ont-ils pas le goût du risque imbibé dans leur fibre salariale ? D'un peuple dont 70% des étudiants rêvent d'accéder à la fonction publique, ce serait vraiment étonnant... Et puis, force est de constater que l’Économie Solidaire et Socialiste de Hamon n'existe pas, en tant qu'entité propre, en dehors de nos frontières, ce qui laisse un peu perplexe.
Tout ceci sent de façon entêtante l'odeur de l'interventionnisme étatique en pure perte, avec de la bonne contrainte en lieu et place d'un marché libre.
Si les SCOP sont une opportunité, on pourrait s'attendre que, moyennant un peu de publicité de la part du ministère de Hamon, les Français s'engouffrent dans la brèche : la situation est suffisamment médiocre pour que tous se saisissent de la moindre opportunité de s'enrichir, de créer de l'emploi, d'enrichir le voisin et l’État français. Après tout, si l'on en croit nos gouvernants et nos élites, le Français est le coeur sur la main, prêt à tous les sacrifices pour un vivre-ensemble qui se trémousse le popotin dans la joie de vivre ! En tout cas, point n'est besoin de flécher quoi que ce soit, d'investir des millions ou de s'agiter. Quelques milliers d'euros de publicité, et hop, voilà l'affaire lancée !
Mais si les SCOP ne sont pas une si bonne opportunité, pourquoi lancer de l'argent public là-dedans ? Pourquoi ? On en a tant que ça ? Les Français ont à ce point besoin d'être pris par la main pour être dirigés vers des idées médiocres ? Oui, certes, je sais, ils votent socialistes depuis 40 ans, réclament toujours plus d'état et se plaignent lorsqu'ils l'ont (radars, fichages massifs, taxes, impôts, bailouts bancaires, corruptions, marchés englués dans une pléthore de lois, caméras de surveillances partout, etc...). Certes, ils réclament toujours plus d'impôts pour les autres, chacun leur tour, assurant un arrosage égalitaire de la misère et de la vexation. Certes.
Encore une fois, Hamon est pareil aux autres poissons du gouvernement sortis de leur eau qui s'agitent, les yeux glauques et la bouche ouverte, à la recherche désespérée d'un vague truc dont ils ont l'habitude pour s'y replonger et sortir de cette apnée mortelle que la situation force sur eux. Cela s'agite, cela ouvre la bouche, cela frémit, mais cela fait absolument n'importe quoi : si les SCOP, c'est une bonne idée, pourquoi claquer des thunes du contribuable ? Et si c'est une mauvaise idée, pourquoi claquer des thunes du contribuable ?
----
Sur le web