Le mariage civil expliqué à Monsieur Vingt-Trois

Publié le 20 novembre 2012 par Legraoully @LeGraoullyOff

Cher monsieur Vingt-Trois (ne comptez pas sur moi pour vous appeler Monseigneur),

je comprends bien qu’en dénonçant la « supercherie » du mariage pour tous et en vous inquiétant pour la filiation, vous ne faites que votre boulot. Vous êtes déjà en retard de plusieurs siècles sur des thématiques comme le droit pour les femmes de disposer de leurs corps, la théorie de l’évolution, la démocratie, et tout ce que vous classez sans autre forme de débat dans le dossier « œuvre de Satan », (car c’est bien connu, le Malin est encarté au Parti Socialiste, admire l’œuvre de Léon Blum et chante l’Internationale en attendant l’apocalypse). Aussi on ne s’attendait  pas vraiment à de subits élans progressistes de votre part. Mais, dois-je vous l’avouer, vous et votre patron monsieur Seize commencez aussi à nous courir sur le haricot. Est-ce que je me mêle des controverses théologiques entre Saint Bernard de Clairvaux et Abélard moi? Est-ce que je ramène ma fraise pendant que vous bossez pour émettre une proposition sur la longueur règlementaire du chapeau papal ou sur la marque du savon la plus idoine pour nettoyer les pieds des cardinaux à Pâques? Non, alors puisque nous vivons dans un État laïc, si vous avez des remarques à formuler, vous tombez la calotte et l’habit sacerdotal et argumentez en citoyen, pas en ayatollah de la variété chrétienne.

Sur ces bases, on peut commencer à discuter de votre analyse sociologique du mariage. D’abord, le mariage civil sur lequel vous n’avez aucune compétence, n’implique aucune obligation de procréer. Il est parfaitement légal d’utiliser sa semence à d’autres fins que la fertilisation d’un ovule (je laisse travailler votre imagination), c’est une ressource indéfiniment renouvelable et les enfants qui ne naîtront pas de ce gaspillage sans conséquence n’en seront pas plus malheureux. De même, quoi que vous en pensiez, l’instinct maternel est une fable à peu près aussi crédible que celle de votre livre sacré (et entretenue par les mêmes biais tortueux), et l’enfantement n’est pas la seule mission de la femme sur Terre. Si l’on suivait votre logique oiseuse, il faudrait dissoudre le mariage dès la ménopause ou l’andropause, et l’interdire à ceux qui sont frappés de stérilité pour d’autres raisons, qu’elles soient génétiques ou consécutives à la maladie.

Autre point sur lequel vous fondez votre inquiétude: les enfants qui seraient adoptés par des couples homosexuels risqueraient d’avoir un problème d’identité et chercheraient toujours « d’où ils viennent ». Autant que je sache, la même question se pose pour les enfants adoptés par des couples hétérosexuels. Curieusement, vous ne vous posez que la question de la curiosité de l’enfant adopté à l’endroit de son géniteur, pas de sa mère. Je savais que votre culte est une incessante quête du père et  aime les femmes soumises et bonnes pondeuses au point d’avoir un prophète avec trois papas (le père, le Saint-Esprit, et le charpentier cocu), mais là vous poussez le bouchon un peu loin. Est-ce à dire qu’un enfant élevé par deux hommes vous parait moins bien loti qu’en enfant élevé par deux femmes? C’est de la déformation professionnelle de négliger ainsi la moitié et un peu plus de l’espèce humaine? En passant, vous dénoncez la théorie du genre en arguant que « rêver qu’il n’y a plus ni homme ni femme est un projet complètement utopique » et qu »il n’y a pas  d’humanité sans différence des sexes (…) Il n’y a pas de reproduction hermaphrodite parmi les hommes ». Ces propos prouvent bien que vous n’avez rien entravé à la théorie (où il n’est pas question de sexualité), mais que vous êtes un gros obsédé qui ramène tout au cul.

Par ailleurs, vous reprenez les propos de Christiane Taubira qui affirme que cette mesure obéit à un changement de civilisation. Ça, ça fait peur, le changement de civilisation. Allez, pas de ça entre nous, monsieur Vingt-Trois, soyons honnêtes. Si on jette la démocratie aux orties pour bâtir une bonne vieille théocratie à l’ancienne avec la photo de tous les saints à chaque coin de rue, vous ne ferez pas la mijaurée, hein? Pourtant, ce serait aussi un changement de civilisation. C’est juste pour les dépouilles de votre civilisation que vous craignez, vieux chameau! Alors, autant le dire, je suis moins optimiste que Mme Taubira, on n’en est pas encore à une société libertaire et libertine, on répare simplement une injustice sociale et on met un terme à une discrimination absurde que l’Église a perpétué sur les bases des névroses de ses fondateurs. Mais on se doute que vous et vos collègues seront encore là pendant un bon moment pour nous casser les pieds à chaque fois qu’on ira à l’encontre de vos préceptes archaïques. Et j’avoue que l’idée qui vous a traversé l’esprit selon laquelle les partisans du mariage pour tous (et de tous les droits qui vont avec) essaient de faire valoir que « la famille nous casse les pieds » n’est pas pour me déplaire mais qu’elle est encore trop progressiste pour la plupart de nos concitoyens. Et peut-être qu’un jour en effet, les enfants ne seront plus obligés d’avoir des parents. Quant à la possibilité de les acheter sur Internet, c’est avoir une foi en l’e-commerce proche de l’hérésie.

Comme je l’ai dit plus haut, je ne vous en veux pas de ramener votre grain de sel œcuménique dans le débat, après tout à votre âge (et vu que vous et vos coreligionnaires naissez vieux), on ne vous changera plus. Par contre, monsieur Vingt-Trois, il y a un point sur lequel vous m’avez cruellement déçu. Vous affirmez sans rire que « toucher à l’humanité, c’est plus grave que toucher à la Bible« . Ne le répétez pas au bureau, parce qu’il y en a qui se sont fait excommunier et qui ont fini sur un bûcher pour moins que ça.

Pour finir, une dernière suggestion. Monsieur Vingt Trois, vous devriez emmener votre patron monsieur Seize pour un petit concile à Trente. Si vos notions d’arithmétique sont plus solides que vos connaissances sociologiques, vous passerez un bon moment et vous changerez peut-être d’avis sur le mariage pour tous. Ne me remerciez pas, les maths, c’est mon dada.

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