Le débat sur le mariage est donc désormais ouvert. Que peut en dire le géopolitologue ? En fait, il s'interroge sur le mot "institution" régulièrement accolé au mariage. Derrière cette institution se cachent des ambiguïtés et des représentations collectives, qui appartiennent forcément au champ d'étude du géopolitologue.
1/ En effet, les institutions publiques sont souvent assimilées aux seules institutions politiques : Constitution (écrite ou coutumière) qui fixe l'organisation des pouvoirs publics. Mais le mariage est une institution certes "publique" (acte public, encadré par la loi) mais qui touche à une vie privée. Est-ce pour cela qu'il s'agit d'une "institution" ? En fait, le peu de droit que j'ai pu faire autrefois ne m'a jamais éclairé sur le sens que les civilistes (les spécialistes du droit civil) accordaient à ce mot. Connaissant leur goût pour les raffinements sémantiques et les exégèses byzantines, je ne doute pas qu'un traité a précisé les choses. Mais on sent bien qu'il s'agit d'un fondement, qui organise le droit de la société. Autrement dit, de ces lois premières qui définissent le contrat social. Les sociologues précisent qu'il s'agit d'une règle du jeu acceptée socialement.
2/ Cette précision est utile, car on voit bien deux approches de l'institution : l'approche juridique (celle de la règle qui organise la société), et l'approche expérimentale (celle de la pratique de la société à l'origine de la loi). Souvent confondues dans les débats. Alors qu'elles inspirent, d'une certaine façon, bien des positions en présence.
3/ Acceptons donc que le mariage soit une institution. Celle-ci date de la Révolution, quand on a voulu remplacer la dimension légale du mariage religieux qui imprégnait la vie colelctive : le mariage civil fut donc mis en place, puisqu'il organisait plusieurs choses :
- - les mœurs (je ne parle pas de la morale, mais des mœurs publiques) : le mariage permettait aux couples d'avoir une existence sociale (une vie commune)
- - le patrimoine : et notamment le partage des revenus et des charges entre époux. D'où les nombreuses illustrations du contrat de mariage qui ont émaillé le XIX° siècle, ce siècle "bourgeois"
- - la filiation qui sert surtout à la transmission de patrimoine.
4/ Il reste que cette institution n'a cessé de subir des accrocs, pour beaucoup de motifs :
- droit de chacun des époux
- droit des enfants
- libération des mœurs (ce qui ne signifie pas seulement liberté sexuelle, mais surtout acceptation qu'il y a d'autres possibilités de vivre ensemble, de partager des revenus et des charges et de transmettre du patrimoine que par le mariage).
5/ Ainsi s'expliquent les nombreux dispositifs :
- divorce (étendu dans des considérations de plus en plus extensives)
- protection de la mère célibataire
- Protection de l'enfant avec un seul parent
- Concubinage et PACS
Ainsi, l'approche sociologique l'a peu à peu emporté sur l'approche juridique.
6/ Ainsi, ce mariage "institué" l'est en fait de moins en moins. La majorité des enfants de France vivent aujourd'hui dans des situations hors mariage. Autrement dit, quelques soient les discours, le mariage est devenu minoritaire. Il n'est plus l'institution que l'on dit comme un mantra. Ce n'est pas ce qu'affirment les tenants du débat, qui partagent, paradoxalement, la même illusion :
- les "conservateurs" affirment que le mariage demeure le fondement de la société
- les "progressistes", et notamment les homosexuels, affirment de même la "normalité" du mariage alors que celui-ci est justement devenu anormal. Au fond, ils veulent aller d'une minorité dans une autre minorité, sans forcément en avoir conscience.
7/ Un autre élément tient à la notion de droit. Comme souvent depuis quelques décennies, on entend souvent raisonner en termes de "droit".
- Pour le coup, les "progressistes" raisonnent en termes de droit individuel, ceux de la personne. En cela, ils sont libertaires, et donc ultra libéraux. Seul compte la liberté individuelle. Les anarchistes rejoignent les libertariens.
- Tout aussi paradoxalement, les "conservateurs" (et politiquement, les libéraux sont proches des conservateurs) raisonnent en termes de droit collectif : certes il y a des droits individuels, mais le contrat social exige aussi qu'il y ait des contraintes publiques, et le bien commun nécessite qu'on n'accède pas à toutes les demandes des droits individuels.
- Or, il est pour le coup curieux de voir que l'échiquier politique raisonne à l'envers. Notamment, les gens de gauche qui sont généralement partisans du bien commun et soucieux de l' intérêt collectif (et donc théoriquement en faveur des "institutions collectives" dominant les intérêts individuels) cèdent ici à une de leur frange la plus radicale (qui promeut les droits individuels jusqu'à une certaine forme d'anarchie), ce qui est en contradiction avec leur logiciel profond : ceci permet d'ailleurs de comprendre que bien des socialistes s'élèvent contre le mariage homosexuel.
8/ Il reste qu'il faut être logique. L'extension du mariage à de nouvelles catégories marginalisera encore plus le mariage : au fond, celui-ci ne voudra plus rien dire. Allons jusqu'au bout : puisque le mariage ne sera plus une "institution" régulant la vie sociale, puisqu'il ne sera qu'un choix individuel sans grand effet dans le temps et avantageusement remplacé par de multiples options alternatives (vie commune, concubinage, PACS), il faudrait presque recommander la suppression du mariage civil, et ne laisser le mariage qu'à ceux pour qui il représente encore un sens. Autrement dit, et puisque la religion appartient désormais uniquement à la sphère privée conformément à notre pratique de la laïcité, le mariage pourrait devenir une affaire exclusivement religieuse. Ce serait finalement beaucoup plus simple et réaliste.
Mais il va cette vue sèche et mécaniste ne peut être acceptée en l'état, car elle sera refusée par les deux camps : les conclusions logiques ne tiennent pas devant les affaires passionnelles. Nous voici revenus aux représentations. Et il est probable que ce billet déplaira aux deux côtés.
O. Kempf