Certaines n'avaient jamais vu la mer

Par Apollinee

C'est du Prix Femina étranger (décerné le 5 novembre) que je veux aujourd'hui vous entretenir.

Prêtant sa plume à un collectif imaginaire de femmes,  la romancière américaine d'origine nippone,  évoque l'immigration, au début du vingtième siècle, de Japonaises promises à des compatriotes installés en Californie.

" Sur le bateau nous avions emporté dans nos malles tout ce dont nous aurions besoin dans notre nouvelle vie: un kimono de soie blanche pour notre nuit de noces, d'autres en coton coloré pour tous les jours, de plus discrets pour quand nous serions vieilles, et puis des pinceaux à calligraphie, d'épais bâtons d'encre noire, de fines feuilles de papier de riz afin d'écrire de longues lettres à notre famille, (...)la poupée avec laquelle nous dormions depuis que nous avions cinq ans, (...) le miroir d'argent donné par notre mère, dont les dernières paroles résonnaient encore à notre oreille. Tu verras: les femmes sont faibles, mais les mères sont fortes."

La candeur, la naïveté des attentes et des questions qui tarabustent les jeunes femmes cèdera la place à la réalité parfois brutale et dure de leur nouvelle vie et des compagnons imposés.

"Nous voilà en Amérique, nous dirions-nous, il n'y a pas à s'inquiéter. Et nous aurions tort."

Réduites à un labeur de champs, de bonnes et même de prostitution, la plupart de ces femmes se résigneront avec une abnégation ethnique à cet esclavage implicite. La guerre viendra qui mettra la communauté au ban de la société et  parquera  les hommes dans la "sécurité"  de camps d'internement.

C'est sur cette note de silence que s'achève ce singulier - et poignant - récit d'un destin pluriel.

AE

Certaines n'avaient jamais vu la mer, Julie Otsuka, trad. de l'américain par Carine Chichereau, Ed. Phébus, 144 pp, 15 €