Flotation Toy Warning

Publié le 20 novembre 2012 par Bertrand Gillet

Bluffer's Guide to the Flight Deck : joy of a toy.

Que sont-ils devenus ? Une adresse habituellement destinée aux one-hit wonders des 80s et autres formations improbables, éteintes depuis pour la dignité de tous. Oh je vous rassure, nous n’évoquerons pas là ces relents de naphtaline qui surnagent, intacts etcorrosifs, à l’ouverture de la bonnetière de la grand-mère fraîchement décédée. Nous nous attarderons plutôt sur ces parfums délicieusement âcres qui tamisent nos greniers de particules en suspens mêlées à la lumière soupirante du jour. À l’intérieur, on trouve toujours une bonne vieille malle. Une malle aux trésors ! Celle dont nous rêvions étant enfants. Pleine de vieux jouets merveilleux quoiqu’intrigants, à l’heure du gaming solitaire et sauvage. Ces objets, nous les avions parfois oubliés et il faut faire l’effort de les délivrer du passé pour en apprécier pleinement les joies indicibles. L’un d’entre eux s’est rappelé à notre mémoire, un disque donc, quoi de surprenant en vérité, un unique album et en même temps album unique dont la pochette semble échappée d’une époque lointaine, victorienne. Sorti en 2004, Bluffer's Guide to the Flight Deck est le premier effort de Flotation Toy Warning. Il est resté hélas sans successeur. Réalité presque tragique qui en augmente le mystère. Le pouvoir d’attraction. L’album débute d’ailleurs par des clapotis, sommes-nous en train d’appareiller pour une bien singulière aventure, un voyage aux confins de la pop ? C’est probable et même le cas. La production impeccable, savante, à la fois riche et immédiate, y contribue grandement. Dix morceaux dépassant le carcan étriqué des trois minutes nous invitent à errer au milieu des nappes d’orgue, des trames électroniques et des lignes sinueuses de cordes. Car c’est le subtil enseignement de Bluffer's Guide to the Flight Deck. Ressusciter ces années, aujourd’hui honnies, où l’Angleterre du sergent poivre glissait inexorablement vers un rock progressifaux ambitions démentes mais à la folie douce. Un prog’, comme disent les exégètes, paré des atours les plus délicats, imprégné de cette poésie britannique faite de cruauté et d’absurde. Musique tridimensionnelle donc. Les textes, opératiques, la musique, complexe, la conception sonore et visuelle, totale. Ces éléments combinés, pour peu qu’ils assurent la cohérence de l’ensemble, donnent surtout cette impression de fluidité, les chansons s’écoulant au fil du temps, reliées entre elles de façon quasi télépathique ; compositions miroirs. Couper le cordon et nous prendrions le risque de sacrifier cet instant de grâce ! Cette parenthèse de beauté dans un monde vicié, emporté par les crises et les déceptions, aussi vives que des blessures. Flotation Toy Warning arrive parfois à emprunter à ce passé artistique emblématique, fixé pour l’éternité par quelques génies du détail, Edward Burnes-Jones, William Morris, John Everett Millais. La référence à Beatrice Harrison, célèbre violoncelliste du début du XXème siècle, en ouverture de Losing Carolina: For Drusky, n’est bien sûr pas innocente. C’est une certitude à laquelle on adhère automatiquement, qui se diffuse de part et d’autres des deux faces de l’album, donnant à chaque titre une identité inimitable. C’est là le deuxième miracle de Bluffer's Guide to the Flight Deck. Celui d’échapper au copier-coller musical, antique ou actuel, à l’exception de Fire Engine On Fire Pt. II dont l’entame rappelle dans un mimétisme troublant le majestueux final de A Saucerful Of Secrets. On a comparé Flotation Toy Warning à Grandaddy ou Mercury Rev. Pourquoi pas. Pourtant le quatuor sonne anglais jusque dans sa chair. Constat salutaire puisqu’il convient de prendre ces musiciens pour ce qu’ils sont : des individualités réunies au sein d’un collectif soudé où chacun peut malgré tout exprimer sa sensibilité. Ce que Paul Carter ou Ben Clay ou Nainesh Shah ou Vicky West a vécu, il peut le transformer en matière musicale, en partie, en segment, en mélodie. Vous me répondrez que c’est là l’essence de la musique et plus particulièrement de la pop. Mais le nouveau siècle comme le précédent ont trop souvent été dominés par le cynisme, la facilité générale pour ne pas invoquer ce précieux axiome. Et la grande musique dans tout ça ? Ce qui la définit ? Tout simplement, si j’ose dire, son goût pour l’audace et le grandiose. Une certaine idée de l’excellence que partagent les membres du groupe. Et le fait d’avoir choisi de ne pas donner suite à cet opus brillant, comme si l’entreprise les avait littéralement vidés, participe davantage encore à leur crédit. Alors, s’il faut le faire, refermons un temps cette malle à jouets mais n’ayons pas peur d’y revenir, peut-être par nostalgie. Peut-être avant tout parce qu’elle contient cet art apte à flatter le bel esprit et seul capable de faire resurgir la chose la plus élémentaire, la plus primordiale en ces temps : notre âme d’enfant.

http://www.deezer.com/fr/album/42912



20-11-2012 | Envoyer | Déposer un commentaire | Lu 94 fois | Public Ajoutez votre commentaire