[anthologie permanente] Lorine Niedecker

Par Florence Trocmé

Les éditions Corti, dans leur collection Série américaine, viennent de publier Louange du lieu et autres poèmes de Lorine Niedecker (1903-1970), dans une traduction d’Abigail Lang, Maïtreyi et Nicolas Pesquès.  
Morte 
elle repose maintenant sourde à la mort 
Elle aurait pu faire pousser un bon rutabaga  
au cimetière 
   et comme elle aurait aimé ces bois 
L’un de ceux qui portaient son cercueil a dit 
   j’ai suivi une biche comme un idiot 
pour la voir sauter la haie – 
   j’avais jamais vu une biche sauter une haie 
C’est joli 
   comme elle court 
• 
Le long de la rivière 
   les tournesols sauvages 
au-dessus de moi 
   les morts 
qui m’ont donné la vie 
   me donnent ceci 
notre parent l’air 
   et les crues 
notre riche ami 
   le limon 

Il vécut – été d’enfance 
   aux pieds nus 
puis années de disette 
   et de chaleur 
près de la rivière – la crue 
   lui apporta son bois, son chien 
sa femme, la perdit, sa fille – 
   prologue 
à une plantation d’arbres. Il enfouit la carpe 
   sous le rosier 
où passe le râle d’eau 
   droit comme l’herbe 
Pour les banquiers d’en-haut 
   il mit en perce son tonneau 
Il rêvait pour sa fille unique 
   d’un travail à la banque 
mais il lui avait donné une source 
   pour subsister – 
une parole de chiendent, 
   un acompte de marais 
• 
Considère 
 
l’alliance – 
des plantes et vaisseaux 
la floraison qui-va-de-soi 
aux bords de nos routes 
   la carotte sauvage 
   la grande marguerite 
   coururent les mers 
« spécimens échangés gracieusement 
entre flottes ennemies » 
Et quand un vieux navire pourrit sur la rive 
lui-même jadis, plante vivace 
   il germe 

Autrement 
 
   Gérard Manley Hopkins 
Cher ami : Si le poème 
est imprimé peu 
le liront et moins encore le mesureront 
encore moins le comprendront 
C’est sûr 
la scansion est simple 
mais qui se détournera 
de l’habituelle battue rebattue 
À part ça ? – Je n’ai pas encore trouvé 
la loi des feuilles de chêne… 
Lorine Niedecker, Louange du lieu et autres poèmes de Lorine Niedecker ,  traduction d’Abigail Lang, Maïtreyi et Nicolas Pesquès, Corti 2012, pp. 45, 55 et 56, 186 et 187 
Lorine Niedecker dans Poezibao : 
bio-bibliographie, extrait 1