Cession de bail commercial et refus du bailleur

Publié le 13 novembre 2012 par Christophe Buffet

Le refus du bailleur d'agréer une cession de bail commercial n'est pas discrétionnaire et doit reposer sur un motif légitime :

"Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 3 février 2010), que la société Smart Distribution, aux droits de laquelle vient la société Mercedes Benz France, locataire, selon acte du 17 juin 2004, de locaux à usage commercial appartenant à la SCI 5 & 7 rue Louis Rouqier à Levallois-Perret (la SCI), a, conformément aux stipulations du contrat de bail, demandé à cette dernière d'agréer la société Sivam en qualité de cessionnaire du droit au bail ; que les pourparlers engagés par la SCI avec la société Sivam en vue de la conclusion d'un contrat de bail n'ont pas abouti ; que la SCI en a informé la société Smart Distribution par courrier du 22 janvier 2007, puis, par acte notifié le 23 mai 2007, l'a mise en demeure d'exploiter les locaux loués ; que la société Smart Distribution a assigné la SCI pour voir dire non justifié le refus de la cession du droit au bail et ordonner l'indemnisation de son préjudice ; que la SCI a demandé reconventionnellement que soit constatée la résiliation du bail par acquisition de la clause résolutoire ; 
Sur les deuxième et troisième branches du moyen unique : 
Attendu que la SCI fait grief à l'arrêt d'accueillir les demandes de la société Mercedes Benz France et de la condamner à payer la somme de 370 000 euros à titre de dommages-intérêts, alors, selon le moyen : 
1°/ que conformément à l'article L. 145-16 du code de commerce, si les clauses interdisant au preneur de céder son droit au bail sont nulles, les parties peuvent néanmoins prévoir que le bailleur, informé du projet de cession, devra donner son autorisation ; que le juge saisi du caractère abusif du refus du bailleur doit rechercher, au-delà de son refus in fine, écrit et non explicite, les circonstances ayant entouré ce refus et en conséquence, la légitimité des motifs de refus du bailleur ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a énoncé qu'il importait peu que des pourparlers aient été engagés par le bailleur avec le preneur et le cessionnaire en vue de la rédaction d'un nouveau bail avec augmentation du loyer et que ceux-ci aient été rompus par le refus du cessionnaire d'assumer la charge du coût de rédaction de l'acte, s'en tenant au fait que la notification du refus d'autorisation du bailleur n'avait pas été motivée ; qu'en statuant ainsi, pour décider que le refus d'autorisation de la cession par le bailleur était abusif, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de la disposition susvisée ; 
2°/ que le contrat de bail prévoyant que le preneur a la faculté de céder le droit au bail, à la condition d'obtenir l'accord du bailleur, et le preneur ayant eu connaissance de ce que celui-ci suspendait cet accord à l'augmentation du montant du loyer, ce qu'il avait accepté lors de sa propre entrée dans les lieux, le refus du bailleur de donner son autorisation est légitime, même dans le cas où il n'énonce pas les motifs de ce refus dans son courrier définitif de refus, s'il ressort des circonstances ayant entouré la demande d'autorisation puis le refus, in fine, du bailleur que ce refus a pour cause le refus du cessionnaire de payer le coût de rédaction de l'acte ; qu'en se déterminant en la seule considération du défaut de motif énoncé par le bailleur dans son courrier informant le preneur de son refus, la cour d'appel qui a décidé que ce refus était abusif en dépit de la clause d'agrément qui suspendait l'autorisation de cession à l'accord du bailleur, sans mention d'une obligation de motivation expresse du refus, a, en statuant ainsi, ajouté aux conditions contractuelles tout en refusant d'exercer son contrôle sur les conditions du défaut d'accord, ce qui s'imposait à elle et elle a, en conséquence, violé l'article 1134 du code civil ; 
Mais attendu qu'ayant relevé que le contrat de bail n'interdisait pas au preneur la cession du droit au bail à un tiers autre que l'acquéreur de son fonds de commerce et que le refus opposé par la bailleresse à cette cession ne pouvait être discrétionnaire et devait revêtir un caractère légitime, la cour d'appel, qui a constaté que la bailleresse, notifiant son refus à la locataire par un courrier du 22 janvier 2007, n'alléguait aucun motif, a souverainement retenu que l'échec des pourparlers conduits avec la société Sivam en vue de la conclusion d'un contrat de bail, ne caractérisait pas un motif légitime du refus opposé à la cession de son droit au bail par la société Smart Distribution, et ordonné la réparation du préjudice subi de ce fait par cette dernière ; 
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé de ce chef ; 
Mais sur la première branche du moyen unique : 
Vu l'article 4 du code de procédure civile, ensemble l'article 562 du même code ; 
Attendu que l'appel ne défère à la cour que la connaissance des chefs de jugement qu'il critique implicitement ou explicitement et de ceux qui en dépendent ; que la dévolution s'opère pour le tout lorsque l'appel n'est pas limité à certains chefs, lorsqu'il tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible ; 
Attendu que la cour d'appel a infirmé la décision des premiers juges en ce qu'ils avaient constaté la résiliation du bail par l'acquisition de la clause résolutoire ; 
Qu'en statuant ainsi, alors que la société Mercedes Benz France avait, dans ses dernières conclusions, expressément renoncé à critiquer ce chef du jugement et que la SCI, intimée, en demandait la confirmation, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; 
Et vu l'article 627 du code de procédure civile ; 
PAR CES MOTIFS : 
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a infirmé la décision des premiers juges qui avait constaté la résiliation du bail par l'acquisition de la clause résolutoire, l'arrêt rendu le 3 février 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; 
DIT n'y avoir lieu à renvoi ; 
Dit que les dépens afférents aux instances devant les juges du fond seront supportés par la société 5 & 7 rue Louis Rouquier à Levallois-Perret ; 
Condamne la société Mercedes Benz France aux dépens du présent arrêt ; 
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ; 
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ; 
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze juin deux mille onze. 
MOYEN ANNEXE au présent arrêt 
Moyen produit par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils pour la société 5 & 7 rue Louis Rouquier à Levallois-Perret. 
Le moyen fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir décidé que le refus de la cession du droit au bail par la SCI 5/ 7 rue Louis Rouquier sans aucun motif ni fondement contractuel, illégitime et abusif, engage la responsabilité contractuelle de la SCI, d'avoir condamné la SCI à payer à la Sté MERCEDEZ BENZ FRANCE, venant aux droits de la Sté SMART DISTRIBUTION la somme de 370 000 €, augmentée des intérêts à compter de l'assignation, et d'avoir débouté la SCI 5/ 7 rue Louis Rouquier de sa demande visant à voir constater l'acquisition de la clause résolutoire et à prononcer la résiliation judiciaire du bail ; 
AUX MOTIFS QUE, sur le caractère abusif du refus du bailleur, que l'article 22 du bail liant les parties est ainsi rédigé : « Le preneur ne pourra plus céder son droit au bail si ce n'est à l'acquéreur de son fonds de commerce, sans l'autorisation expresse et par écrit du bailleur, à peine de résiliation immédiate, si bon semble à ce dernier » ; que les alinéas 3 et 10 de ce même article définissent en ces termes les conditions d'une cession du droit au bail : « la cession ne sera possible que si le cédant est à jour de ses loyers et de toutes les obligations résultant du présent bail … ; au surplus, ladite cession devra, sous peine d'être inopposable au propriétaire et de résiliation immédiate du bail si bon semble à ce dernier, prévoir une clause aux termes de laquelle le cessionnaire se porte garant et répondant solidaire du cédant, pour le paiement de tout arriéré de loyer et accessoires dus au jour de l'acte de cession et ce, même au cas de redressement, de liquidation judiciaire du cédant …. ; le cessionnaire devra être présenté personnellement par le cédant au bailleur, 15 jours au moins avant de procéder à la cession … ; en outre, le bailleur aura en tout état de cause, en cas de cession des droits du présent bail, en cas de cession partielle ou totale du fonds de commerce comprenant les droits du présent bail un droit de préemption. Ainsi, préalablement à la conclusion de toute cession du présent bail, toute cession du fonds de commerce comprenant le droit au présent bail le preneur devra, à peine d'inopposabilité, adresser au bailleur une copie de l'acte de cession envisagée … cette notification du projet d'acte de cession pour offre de vente au profit du bailleur » ; qu'il importe peu que le bailleur argumente sur l'existence de pourparlers avec le cessionnaire en vue de la rédaction d'un nouveau bail, comprenant augmentation du prix de loyer, ni même qu'aucun accord n'ait finalement été conclu en raison du refus de la SAS SIVAM de prendre en charge le coût de la rédaction de l'acte dès lors que le bail liant les parties prévoyait clairement la possibilité d'une cession du droit au bail seul sous réserve de l'accord du bailleur ; que cette clause n'est pas contraire à l'ordre public, et que le refus du bailleur n'est pas discrétionnaire mais doit revêtir un caractère légitime ; que c'est ainsi avec raison que le premier juge a constaté la validité de la clause du bail, autorisant la cession du droit au bail à un tiers autre que l'acquéreur du fonds de commerce, étant ici observé que cette clause a été déjà utilisée lors de la cession du droit au bail par la Sté EDEN CAR à la SAS SMART DISTRIBUTION et ce, avec l'accord du bailleur ; que cependant, le courrier officiel adressé au nom du bailleur par son mandataire, le Cabinet X... et Associés, ne fait aucunement mention de motifs permettant d'apprécier le caractère légitime du refus mais se borne à opposer un refus de principe à la cession du droit au bail hors la cession du fonds de commerce ; qu'il convient dès lors de dire illégitime le refus opposé par la SCI sans aucun motif ni fondement contractuel ; que, sur le montant des dommages intérêts, la Sté MERCEDES France venant aux droits de la SAS SMART DISTRIBUTION expose qu'elle a subi un préjudice important du fait de la privation du prix prévu par la cession du droit au bail soit 370 000 €, et de l'obligation dans laquelle elle s'est trouvée de suspendre la restructuration de ses activités dans l'attente d'une réponse de son bailleur, puis d'une solution judiciaire du litige ; qu'elle sollicite l'octroi de dommages intérêts d'un montant global de 450 000 € ; que si la Sté MERCEDES BENZ ne verse aucun élément probant à l'appui du fait qu'elle aurait été contrainte de retarder sa restructuration, elle justifie en revanche pleinement de la perte du prix de cession de son droit au bail, en raison de l'attitude fautive du bailleur ; que la SCI bailleur sera condamnée à réparer ce préjudice par le paiement d'une somme de 370 000 € augmentée des intérêts au taux légal à compter de l'assignation initiale ; 
1) ALORS QUE l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; que l'appel ne défère à la cour que les chefs de jugement qu'il critique expressément ou implicitement ; que la société MERCEDES BENZ FRANCE, en l'espèce, avait renoncé, dans ses dernières conclusions, à solliciter l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il avait constaté l'acquisition de la clause résolutoire ; que la SCI 5/ 7 rue Louis Rouquier sollicitait quant à elle la confirmation du jugement entrepris, qui avait constaté l'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail ; qu'en déboutant cependant la SCI 5/ 7 rue Louis Rouquier, par infirmation du jugement entrepris, de sa demande visant à voir constater l'acquisition de la clause résolutoire, la cour d'appel a violé les articles 4 et 562 du code de procédure civile ; 
2) ALORS QUE conformément à l'article L. 145-16 du code de commerce, si les clauses interdisant au preneur de céder son droit au bail sont nulles, les parties peuvent néanmoins prévoir que le bailleur, informé du projet de cession, devra donner son autorisation ; que le juge saisi du caractère abusif du refus du bailleur doit rechercher, au-delà de son refus in fine, écrit et non explicite, les circonstances ayant entouré ce refus et en conséquence, la légitimité des motifs de refus du bailleur ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a énoncé qu'il importait peu que des pourparlers aient été engagés par le bailleur avec le preneur et le cessionnaire en vue de la rédaction d'un nouveau bail avec augmentation du loyer et que ceux-ci aient été rompus par le refus du cessionnaire d'assumer la charge du coût de rédaction de l'acte, s'en tenant au fait que la notification du refus d'autorisation du bailleur n'avait pas été motivée ; qu'en statuant ainsi, pour décider que le refus d'autorisation de la cession par le bailleur était abusif, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de la disposition susvisée ; 
3) ALORS QUE le contrat de bail prévoyant que le preneur a la faculté de céder le droit au bail, à la condition d'obtenir l'accord du bailleur, et le preneur ayant eu connaissance de ce que celui-ci suspendait cet accord à l'augmentation du montant du loyer, ce qu'il avait accepté lors de sa propre entrée dans les lieux, le refus du bailleur de donner son autorisation est légitime, même dans le cas où il n'énonce pas les motifs de ce refus dans son courrier définitif de refus, s'il ressort des circonstances ayant entouré la demande d'autorisation puis le refus, in fine, du bailleur que ce refus a pour cause le refus du cessionnaire de payer le coût de rédaction de l'acte ; qu'en se déterminant en la seule considération du défaut de motif énoncé par le bailleur dans son courrier informant le preneur de son refus, la cour d'appel qui a décidé que ce refus était abusif en dépit de la clause d'agrément qui suspendait l'autorisation de cession à l'accord du bailleur, sans mention d'une obligation de motivation expresse du refus, a, en statuant ainsi, ajouté aux conditions contractuelles tout en refusant d'exercer son contrôle sur les conditions du défaut d'accord, ce qui s'imposait à elle et elle a, en conséquence, violé l'article 1134 du code civil."