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Ainsi, Le dernier crâne de M. de Sade, un beau testament pourtant, n’était pas le dernier livre de Jacques Chessex. Dans ses papiers se trouvait en effet un manuscrit « prêt pour la publication », comme le dit Dominique Fernandez dans sa préface – et bien qu’il y manque trois mots dont l’absence dérange peu. Trois mots, autant que de thèmes principaux : Dieu, le sexe et la littérature. Mais Dieu et le sexe, au fond, c’est la même chose. Plus authentique que dans n’importe quel entretien, puisqu’il choisit les questions de L’interrogatoire afin de se livrer tout entier, Jacques Chessex ne tarde pas à faire le rapprochement : « Il n’y a aucune distance entre le puits des femmes et Dieu. » Adepte de la transgression, l’écrivain revient sur son expérience de la religion, qui l’a en partie façonné. « Etre né protestant, c’est déjà toute une histoire. » Surtout quand, à la marque de l’origine, s’ajoutera une vive sympathie pour le catholicisme : « j’ai été fortement saisi par l’accueil catholique et la lumineuse cohérence du thomisme en toute chose de la vie et de la mort. » Le questionneur, c’est-à-dire lui-même, infléchit l’interrogatoire en fonction de ses curiosités. Comme il les partage avec Jacques Chessex, il revient plusieurs fois sur la sexualité, dont la pratique semble correspondre à une longue recherche, aboutie, du plaisir le plus intense, dans un partage dont les détails réjouiront les amateurs. Reste la littérature, à laquelle Jacques Chessex a voué sa vie dans « un travail ininterrompu », trouvant un registre personnel qui lui permettait de n’envier aucun autre écrivain : « je suis persuadé d’être le seul à pouvoir faire ce que je fais. A écrire ce que j’ai à écrire, et sur quel ton, dans quelle syntaxe, dans quelle absolue liberté. » Avec rigueur, certes, comme son maître Flaubert. Mais pas son seul maître, surtout si on l’oppose, comme on le fait souvent, à Stendhal. Chessex aimait les deux, et les trouve réconciliés dans l’œuvre de Giono. « Il a l’application, le zèle, la régularité de Flaubert au travail. […] En même temps Giono aime Stendhal, il l’aime pour l’Italie, le surgissement et la désinvolture du récit, son allant, – et pour l’air libre. » Il semble par ailleurs tout naturel qu’un livre posthume parle de la mort. Retourne une question sur la vanité en renvoyant au genre de la Vanité en peinture, où la mort est introduite dans une scène quotidienne. Et décrive une scène de cauchemar, quand Chessex, après la publication d’Un Juif pour l’exemple, a vu un char du carnaval de Payerne transporter son cercueil, sur lequel le double « s » de son nom reproduisait le sigle de la SS… Si quelques lecteurs de L’ogre ou des nombreux livres qui ont suivi n’avaient pas vu clair dans les joyeux tourments où Chessex les entraînait, il suffira d’ouvrir L’interrogatoire. Le moteur de l’œuvre s’y trouve démonté et expliqué, avec la sensibilité écorchée d’un grand écrivain.