A la suite de la publication de "Albert Camus l’Algérien, n’est pas Français" par Kouidri Saâdeddine Le Matin DZ |
Avec pour sous-titre... Peut-on revendiquer une nationalité naturelle à titre posthume ?
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Qui peut bien avoir besoin de rêver à un Camus algérien quand on sait qu’ Albert Camus ne l'a jamais été ; et vous ne trouverez aucun Français pour penser le contraire ; ce qui devrait mettre la puce à l’oreille à plus d’un, excepté peut-être chez les adeptes de la bien-pensance : un Jean Daniel grabataire ou un Benjamin Stora plein de bonne volonté et de bons sentiments qui cachent sans doute, inconsciemment ou pas, une condescendance à la limite de la tartufferie et du mépris.
Disons les choses : si Albert Camus est ou bien, a été algérien... il s'est manifestement agi d'un Algérien d'un nouveau type... du genre qui ne peut concevoir une Algérie qui ne soit pas française.
Aussi... mettons-nous, nous tous, d'accord une bonne fois pour toutes : les Algériens d'Algérie sont-ils algériens (et si possible... fiers de l'être) ou bien sont-ils finalement français ? Et les Français sont-ils français ou bien algériens ?
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Cette tentative récurrente de récupération d'Albert Camus par quelques lettrés d’Algérie (mille fois réitérées) cacherait-elle un malaise identitaire du type : « ... être algérien sans Camus, ça n'en vaut pas la peine... », un peu comme le fait d’être algérien sans le mythe fondateur et corrupteur d'une guerre d'indépendance qui aurait fait des Algériens un Peuple sûr de lui, soudé, fier et courageux ?
Malaise, malaise et re-malaise !
A juste titre, l’article mentionne le fait suivant : "Nous sommes nombreux à voir énormément d'Algérie dans l'œuvre d'Albert Camus". Faire ce constat, ce n'est certainement pas servir l’idée que Camus était algérien. Ou bien alors, tous les colons l'étaient tout aussi légitimement car, ils avaient aussi en eux une sacrée dose d'Algérie tous ces colons, et jusque sous leurs ongles noirs de terre ! Les colons donc et tous ceux qui le moment venu ont choisi la France tellement ils se sentaient algériens.
De plus, doit-on et peut-on oublier que toute l'œuvre de Camus est en langue française, et qu'il n'en maîtrisait pas d'autre ?
C’est un professeur du secondaire qui donna à Camus les ailes qui lui permettront d’entrevoir un avenir littéraire et philosophique. Camus avait pour compagnons et référents Nietzsche et Kierkegaard et pas Abd el-Kader ben Muhieddine (عبد القادر بن محي الدين pour les intimes).
Parler d’un Camus algérien s’est courir le risque d'un anachronisme à la limite du risible car, du temps de Camus, il n'y avait pas d'Algériens mais... des autochtones que la guerre d'indépendance a "transformés" en Algériens. Et c’est bien peu de dire que le FLN aura eu un mal de chien à y parvenir ; ça lui a pris près de 20 ans (à partir de Sétif). Et ce même FLN n’a pas lésiné : intimidation, contrainte, chantage, enrôlement de force, racket et assassinats…
Et Camus nous a quitté avant de pouvoir apprécier ou pas, le fruit de leurs louables efforts à tous, même s'il a eu le temps de nous dire deux ou trois choses sur la torture et le terrorisme qui n'étaient pas du goût de tout le monde.
Le titre de cet article Albert Camus l’Algérien, n’est pas Français fait finalement peu de cas de l'idée "Algérie". Ou bien alors, cette idée n'a toujours pas été élaborée car ce titre provocateur dessert l'Algérie en général, l'Algérien en particulier (en tant que concept) ainsi que l'Indépendance (en tant que processus historique), sans oublier la langue de ce pays ; car enfin, peut-on être algérien et ne maîtriser que la langue de l'ancien colonisateur ?
Les pièges sont partout, pour tout le monde. Les faux débats aussi.
Dire que Camus était algérien… de la terre d'Algérie... de cette terre qui fut pendant 150 ans celle du colonisateur français... n’est-ce pas prendre le risque d'épouser son point de vue : "La terre dite d'Algérie était française de droit ! Pour preuve, le fait que Camus ne faisait qu'un avec cette terre".
Néanmoins "Camus et l'Algérie" est sans l’ombre d’un doute un sujet très instructif, et par conséquent, révélateur, surtout aux yeux de ceux qui connaissent bien l'œuvre de l’écrivain et qui n’ont aucun ascendant qui ait gagné un sou sur le dos d’un autochtone ou qui ait vécu aux frais de la Princesse coloniale ; mais c'est aussi et surtout, et pour peu qu'ils s'intéressent encore à Camus - et c'est pas sûr non plus -, une question piégée pour les rapatriés et fils et filles de colons ou fonctionnaires de l'Etat colonial (1), les Algériens d'Algérie, les Français-Algériens de France, les Juifs d'Algérie expatriés, les Harkis et leurs descendants...
Mieux vaut avoir une idée claire de l'Algérie avec et sans Camus, avant et après l'indépendance, quand on décide de se coltiner un tel sujet... pour peu que cela en soit un, et pas simplement une usine à gaz de plus qui ne dit rien sur rien ni personne, et un piège de plus pour l'ancien colonisé pas si ancien finalement et pas si décolonisé que ça manifestement.
En conclusion, on sera vraiment tenté de demander que l’on fiche la paix à Albert Camus qui, Algérien ou pas, n'a fait que ce qu'il a pu, comme nous tous, d'autant plus qu'il n'est pas sûr que son oeuvre puisse expliquer quoi que ce soit de l'Algérie d'aujourd'hui. Quant à celle de demain, de ce côté-là de la méditerranée, un peu comme ici d'ailleurs, il paraît qu'il ne faut pas trop espérer.
Aussi...
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1 - Aujourd'hui tous (re)convertis à un anti-colonialisme viscéral et une condamnation sans appel de l'Algérie française... et ce bien qu'ils n'aient pas oublié de remplir les formulaires d'indemnisation qui, dans les années 70, leur ont permis de toucher en tant que rapatriés (filles et fils de... inclus) des sommes aussi rondelettes que bien mal acquises... mais qui profitent toujours. Le temps apaise bien des scrupules et susceptibilités ; et là encore, faut croire que l'argent n'a pas d'odeur quand on prend soin de se boucher le nez au moment de passer à la caisse.
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