Il faut être Montebourg pour comparer The Economist à Charlie Hebdo. Et il faut des dirigeants de ce piètre acabit pour hausser des épaules ou s’agacer du dossier que l’hebdomadaire économique anglo-saxon consacre cette semaine à la France, au lieu d’en prendre attentivement connaissance et d’en tirer les éventuelles conclusions qui s’imposent, notamment sur le plan politique.
On peut comprendre, lorsqu’on voit la photo d’illustration de la Une de cette semaine, pourquoi tant Ayrault que Montebourg se sont agacés de l’aspect volontairement provocateur qu’a choisi The Economist pour faire passer son message ; décrire ainsi, en pleine page, la France comme la bombe à retardement de l’Europe, c’est, à n’en pas douter, une méthode efficace pour attirer l’attention, le buzz comme on dit de nos jours, et provoquer une belle polémique qui n’a pas fini d’enfler en France. Certains se demandent même si l’hebdomadaire économique ne cherche pas là à camoufler les errements de sa propre patrie, l’Angleterre, durement touchée par la crise, en focalisant ses lecteurs sur les problèmes français. Mais ce serait une bien pauvre réaction que de s’arrêter là et ne pas aller lire le contenu des analyses qu’on nous propose ainsi, aussi corrosif soit le packaging qui les entoure…
En effet, lorsque The Economist constate la position centrale et proéminente de la France, avec l’Allemagne, au cœur de l’Europe et de la Zone Euro, il ne fait ici que répéter ce que tout le monde sait déjà : tout, dans la construction européenne et dans la mise en place de la monnaie unique montre que les dirigeants français se sont démenés pour arriver à cette position, depuis Mitterrand et Chirac jusqu’aux agitations cosmétiques de Sarkozy et à la soumission molle de Hollande. Et pour le moment, la France s’en tire honorablement puisqu’à lire les pages que The Economist lui consacre, le pays s’en sort ni trop mal (et évite le sort douloureux de l’Espagne, l’Italie ou le Portugal, sans parler de la Grèce) ni trop bien (comme les pays du Nord à l’instar de la Finlande ou de l’Allemagne).
Mais cette situation tient en fait d’un mélange de deux extrêmes opposés : d’un côté, ses taux d’emprunts sont faibles, très faibles même, probablement pas loin d’un record tant il semblerait que les gens se réfugient dans l’achat de bons allemands ET français, ce qui ne lasse pas de surprendre l’observateur averti. Le pays dispose aussi, et c’est connu, d’infrastructures de communication et de télécommunications d’excellente qualité, en plus d’une position géographique très favorable. Et de l’autre côté, ses chiffres macro-économiques, franchement mauvais, sa croissance anémique voire négative, sa compétitivité de plus en plus mauvaise, et les directions générales consternantes impulsées par un nouveau gouvernement, qui apparaît tout sauf maître de la situation, laissent plus de place à l’effroi qu’au rêve. De telles différences s’assemblent pour donner un constat lové douillettement dans la médiocrité, la moyenne, le milieu, l’entre-deux. En fait de cœur de l’Europe, la France en est le ventre mou presque revendiqué, assumé.
Et pour The Economist, la crise n’a fait que révéler cet état des choses, notamment, par l’absence de dévaluation possible, en laissant les politiciens sombrer dans la dépense publique qui a explosé, à 57% du PIB, la plus forte en Europe.
The Economist va cependant plus loin : puisque Hollande a, au travers du PS, tous les leviers du pays, il pourrait en profiter pour lancer de vraies réformes structurelles. Mais l’hebdomadaire ne peut s’empêcher de noter ce que je remarque régulièrement : l’optimisme de façade du président masque mal sa faible motivation devant la tâche à accomplir, et son aussi faible crédibilité. Après tout, les entreprises savent à quoi s’en tenir sur le plan fiscal, et ce n’est pas joli joli. Le constat de cette absence de prise de conscience et du problème à bras-le-corps est d’ailleurs résumé dans cette phrase cruelle mais juste :
« European governments that have undertaken big reforms have done so because there was a deep sense of crisis, because voters believed there was no alternative and because political leaders had the conviction that change was unavoidable. None of this describes Mr Hollande or France. »
« Les gouvernements européens qui ont entrepris des grandes réformes l’ont fait parce qu’existait un sentiment profond de crise, parce que les électeurs croyaient en l’absence d’alternative et parce que les politiciens avaient la conviction qu’un changement était inévitable. Rien de tout cela ne décrit M. Hollande ou la France. »
Eh oui : le seul changement fut celui du nom du chef de l’état, mais ni sa politique actuelle, flirtant amoureusement avec une rage taxatoire rarement vue dans ce pays, ni le fond jacobin et centralisateur de ses mesures interventionnistes ne changent par rapport aux précédents présidents. Ici, la critique de The Economist fait d’autant plus mal qu’elle tape juste lorsqu’il décrit le PS comme passéiste et hostile au capitalisme. L’hebdomadaire note aussi que le dernier politicien à avoir fait les frais de ses analyses, en juin 2011, était Berlusconi, jugé incapable de réforme du pays et … débarqué dans les six mois suivants.
Sa conclusion, parfaitement en ligne avec ce que j’écrivais il y a quelques jours, rappelle que si Hollande refuse encore de faire les réformes, la réalité économique, indéboulonnable, se rappellera à lui de façon brutale (et pas plus tard que l’année prochaine).
En définitive, si l’on passe sur une couverture provocante (mais habituelle), The Economist propose une vision lucide de la France et en dresse un état des lieux que le Président français aurait tout intérêt à considérer autrement que comme un simple persiflage d’un magazine de la perfide Albion, notre meilleure ennemie. Compte-tenu de l’accueil et de la capacité de prise de recul de nos dirigeants, tout ceci ne sera à l’évidence suivi d’aucun effet salvateur.