In Cool Blood Traduction : Raymond Girard
ISBN : 3280050864503
Extraits Personnages
Dans la nuit du 14 au 15 novembre 1959, à Holcomb, sorte de banlieue de la ville de Garden City, dans le Kansas, les quatre membres de la famille Clutter étaient froidement mis à mort par un ou plusieurs inconnus dont le mobile demeura longtemps inconnu ou plutôt inacceptable puisque tout le monde savait que Herbert W. Clutter, quoique fortuné, ne conservait chez lui que de très faibles sommes en espèce. (Par la suite, les assassins devaient confirmer qu'ils n'avaient retiré de l'affaire qu'entre quarante et cinquante dollars.) Le 30 décembre de la même année, à Las Vegas, Perry Smith et Dick Hickock, considérés depuis peu comme les principaux suspects, sont arrêtés par la police locale assistée de membres du K. B. I. (Kansas Bureau of Investigtion). Ceux-ci vont effectivement recueillir les aveux des deux criminels qui seront condamnés à la peine de mort au printemps suivant. D'appel en appel, leur exécution n'aura lieu que le 14 avril 1965. Entretemps, Truman Capote, qui enquête sur l'affaire depuis pratiquement son début, aura achevé le livre qui est généralement tenu pour son chef-d'oeuvre mais qui est aussi son chant du cygne - car il n'écrira plus ou très peu de valable après sa parution. Ce livre, c'est "De Sang-Froid."
Capote souhaite que son lecteur y voie une enquête minutieuse et objective sur l'affaire Clutter dans tous ses développements. On doit reconnaître qu'il n'a pas ménagé sa peine car il a passé quatre ans à recueillir propos et témoignages et à rencontrer un maximum de protagonistes dont évidemment les deux assassins. Fasciné par la personnalité torturée de Perry Smith, il dira à son sujet, de façon très explicite : "Nous avons grandi dans la même maison. Mais l'un est sorti par la grande porte et l'autre, par l'entrée de service." Le drame de Capote, conséquence inattendue du quadruple meurtre des malheureux Clutter, gît là, dans cette relation privilégiée qu'il entretiendra avec les deux tueurs et tout particulièrement avec Smith, jusque dans le couloir de la Mort.
A-t-il trahi leur confiance en écrivant "De Sang-Froid" tel que nous pouvons le lire aujourd'hui ? A-t-il d'ailleurs trahi celle d'autres intervenants ? Oui et non. Car Truman Capote est avant tout un écrivain, et pas n'importe lequel : l'un de ceux qu'on peut assurer "grands" alors même qu'ils consacrent une bonne partie de leur existence à s'auto-détruire avec conscience. Certains témoins interrogés affirmeront ainsi que Capote n'a pas retranscrit leurs dires aussi scrupuleusement qu'il l'a déclaré pour la promotion de son livre. Pour Hickock et Perry, l'horreur de leurs actes rend la chose bien plus ambiguë : sans nier le Mal qui a fini par leur empoisonner l'âme, il maintient en eux cette part d'humanité dont les criminels ne jouissent pas en général dans les ouvrages qui leur sont consacrés. Pour Smith, son favori évident - et à qui il n'est pas exclu qu'il s'identifiait d'une certaine façon - Capote va même bien plus loin : reprenant à son compte le rôle du grand oiseau jaune qui, dans les rêves de Perry enfant et adolescent, arrivait à temps pour le sauver des pires situations, il brosse de lui un portrait tel qu'il lui confère l'immortalité littéraire.
Mais quoi que l'on pense de l'attitude de Capote, le "faiseur d'argent" comme l'appelait Jack Olsen, "De Sang-Froid", son enfant bien-aimé, n'en reste pas moins un grand livre, dense comme la forêt de l'Ogre, haletant comme un thriller haut-de-gamme, profond comme les méandres de l'inconscient - et construit de main de maître. Si les premières pages peuvent paraître un tantinet paresseuses, on se rend compte tout de suite que cette chaleur et cette quiétude aussi accablantes l'une que l'autre sont là pour souligner l'horreur de la tragédie qui va s'abattre sur Holcomb. Chose rarissime - et même unique à notre connaissance - pour un ouvrage consacré à une enquête criminelle, les petits côtés agaçants, pour ne pas dire les défauts des victimes, sont alignés, sans fard, ni tentative de justification, à côté de leurs réelles qualités. De même, chez les meurtriers, qualités et vices sont représentés avec le même souci d'impartialité. Enfin, Capote a le courage d'attirer l'attention sur les conditions dans lesquelles se déroula le procès de Smith et Hickock, conditions qui, en bonne logique et dans un tout autre Etat que le Kansas, auraient sans doute frappé le verdict d'irrecevabilité.
Que le lecteur se rassure : nous ne cherchons pas ici à prétendre que les deux criminels ne méritaient pas la peine capitale. Mais cela n'empêche pas de rester intègre. Or, que le psychiatre ayant procédé à l'expertise des accusés n'ait pas eu le droit de développer sa réponse sur leur état mental - il devait se contenter de répondre par oui ou par non à la question : "Un tel était-il légalement en état de démence quand il a accompli l'acte qu'on lui reproche ?" - relève de la malhonnêteté morale et juridique la plus absolue et fait malheureusement planer sur la condamnation des senteurs pour le moins déplaisantes.
Tel quel, que son auteur ait parfois "monté un peu la sauce" comme certains l'ont assuré ou que, au contraire, il se soit astreint à une stricte objectivité, "De Sang-Froid" brille d'un éclat singulier, mêlant, en un genre où, depuis Villon, on ne les y attendait guère, poésie et humanité. C'est là la marque du "don" reçu par le poète ou l'écrivain, un don qui s'anime sans toujours consulter celui qui le possède mais qui insuffle une vie étrange, magique et un peu irréelle - un peu de poussière d'étoiles en somme - à des matériaux qui, en d'autres temps et sous une autre plume, seraient demeurés d'une lamentable platitude. Ce don, Truman Capote en était investi au plus haut degré : il suffit de lire "De Sang-Froid" pour le comprendre.