Il est l’auteur de Mots en toc et formules en tic : Petites maladies du parler d’aujourd’hui (Seuil, 2010) et de Paroles, paroles : Formules de nos politiques (Seuil, 2010). Pendant un an, il a remis au goût du jour le feuilleton radio avec 18 bis, boulevard Hache-Cœur sur France Inter (où il officie quotidiennement comme journaliste). Et au printemps prochain (du 21 mars au 13 avril), sa pièce Le Prix des boîtes se jouera au Théâtre de l’Athénée, mise en scène par Jorge Lavelli.
Bref, Frédéric Pommier est un homme de mot. Rencontre autour de ces phonèmes qui changent une vie.
Parle nous d’abord de cette pièce.
C’est une tragi-comédie sur la fin de vie. En fait, je l’ai écrite il y a 5 ans. Mais au départ, ce n’était pas destiné à être une pièce. J’ai accompagné deux femmes jusqu’à la fin. Des « femmes à chat ». Et j’ai pu constater le désarroi et la solitude face au corps médical, aux hôpitaux psychiatriques et à la famille.
Après leur départ, j’ai eu besoin d’écrire pour moi. Un jour j’ai réalisé que je n’avais qu’à changer les noms et que ça ferait une belle pièce.
Qu’est-ce que le mot pour toi ?
Un lien avant toute chose. La première chose qu’on présente au monde, c’est son visage, mais la vérité des hommes est dans ce qu’ils disent. Mais le mot peut aussi être trompeur. La différence, c’est qu’on ne choisit pas la tête qu’on a, mais on choisit ses mots.
Le mot nous insère dans le monde.
Les mots ont une force inouïe. Ils peuvent maintenir en vie comme disait Lacan. Tu peux lire un texte qui te redonne la vie.
Comment es-tu venu aux mots ?
J’aimais qu’on me raconte des histoires et j’aimais en raconter. C’est ce que j’aime dans le journalisme, même quand j’étais au service politique, j’aimais raconter des histoires. Des histoires vraies, mais des histoires quand même. Le journalisme c’est une proposition du regard. L’objectivité n’est pas le but, mais l’honnêteté oui.
Tu analyses les mots, ça s’approche du travail d’un psy ?
Je n’ai pas les compétences pour ça. Je ne suis ni psy, ni linguiste. Je suis juste agacé par les tics de langage. Par exemple, quand les journalistes parlent d’une « grogne » pour parler d’une manifestation, ils ne réalisent pas que ce sont les cochons qui grognent.
Les tics de langage touchent toutes les couches de la population. Même les plus instruites.
Parce qu’on écoute tous les mêmes radios, la même télé. Avant, par exemple, il n’y avait que des gens avec une éducation élevée qui s’exprimaient à la télé. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Tous les langages ont accès à la télé. Mais celui qu’on entend le plus, c’est le langage efficace. D’où la redondance, par exemple, des adverbes en « ment », comme absolument, extrêmement…
Dirais-tu qu’on va vers un appauvrissement du français ?
C’est probable. Surtout qu’on se met tous à parler de la même façon. On ne se cherche plus un vocabulaire propre. Mais c’est naturel, c’est une façon de se faire accepter par les autres. Chaque profession, chaque catégorie sociale à son langage.
Mais je ne suis pas inquiet. Une langue doit s’adapter à son époque. Ce qu’il faut, c’est garder des îlots de résistance, où on peut se moquer des modes et des tendances.
Il n’y aura plus de Louis Ferdinand Céline ?
Il y aura toujours des écrivains pour faire de longues et belles phrases. Mais leurs livres se liront moins, c’est tout.
Au commencement était le verbe. Tu es d’accord ?
Je suis assez d’accord.
Et à la fin, il y aura quoi alors ?
Le verbe surement. Quand on perd la parole, c’est déjà une première mort. Au commencement était le verbe, et puis, par la suite, le verbe est toujours là. On écrit pour être toujours là après sa mort.
Chaplin avait peur de la puissance des mots. Même après l’avènement du cinéma parlant. Il faisait souvent référence à Victor Klemperer et son livre, La langue du 3ème Reich. Est-ce que le mot est trop puissant ?
Le mot peut tuer. En tout cas, il peut blesser affreusement.
Je suis en train de lire un document passionnant, Dans le jardin de la bête (Cherche Midi). Erik Larson a réuni tous les documents de William E. Dodd, ambassadeur américain à Berlin pendant la montée du nazisme. Il raconte cette montée à travers ses yeux. Et la montée, c’est d’abord les mots. Un jour, William E. Dodd rencontre Roosevelt et lui dit « pour l’instant, ce ne sont que des mots« . Pourtant les mots disaient déjà tout. Mais l’ambassadeur n’osait pas croire à la vérité et la puissance des mots.