Le ras-le-bol me guette. J’ai l’impression qu’en ce moment, les dieux de la cinéphilie sont contre moi et que les projections tordues s’enchaînent. J’ai beau me dire que c’est parce que je vais beaucoup au cinéma que je tombe régulièrement sur des connards en guise de co-spectateurs, je commence à sérieusement douter. La poisse me poursuit peut-être véritablement en ce moment. Et là j’ai comme un besoin de souffler. De laisser les cons de côté, de les oublier et de rester entre gens de bonne compagnie.
Je ne saurais accuser le MK2 Bibliothèque (seul) des maux de cette pénible séance de Sinister que j’ai vécu. Il y a très certainement plusieurs paramètres qui ont fait que ce jour, en cet endroit, il était écrit que je vivrais une des projections les plus pénibles de ma vie de spectateur, probablement la pire depuis celle, malheureusement inoubliable, de « Dernière séance ». Il y a le genre du film, il y a l’éducation des spectateurs, il y a les smartphones… Et la gestion des salles du MK2 Bibliothèque, quand même, désolé.
Bon, reprenons au commencement. C’était un beau dimanche de novembre, bon d’accord, météorologiquement parlant, c’était plutôt un dimanche pourri, mais pour moi c’était un beau dimanche qui avait commencé autour d’un brunch entre amis et qui allait se poursuivre vers un bon film au ciné. Direction le MK2 Bibliothèque en ce début d’après-midi pour aller se faire peur avec Sinister. Cela me semblait un bon choix pour découvrir le film, plutôt que d’aller le voir un soir entouré de spectateurs emmerdants comme cela peut souvent être le cas en soirée. Dans les couloirs du cinéma, pas grand monde. A un quart d’heure du début de la séance, nous ne sommes que cinq ou six à attendre l’ouverture des portes pour la salle. Le film était projeté dans la salle C, une des nouvelles salles du MK2 Bibliothèque, loin de toutes les autres (sinon la D), où il semble que jamais aucun employé du cinéma ne vient ouvrir les portes et contrôler le flux des spectateurs. Ceux-ci se démerdent. Vous direz que je n’ai pas une grande foi en l’humanité, mais les cinés où les spectateurs se gèrent eux-mêmes, je n’ai jamais trouvé ça bien efficace.
Lorsque le film a commencé justement, la salle était quasi pleine. Trois ou quatre places dans les deux premiers rangs, et deux places sur ma rangée, une juste à ma droite, et une autre un peu plus au centre. L’ambiance s’est délitée en deux temps. Le premier temps fut l’entrée en salle d’un couple, alors que Sinister avait commencé depuis au moins trois minutes, qui n’a pas cherché à voir s’il restait des places sur les deux premiers rangs et sont directement montés vers les cinquièmes et sixièmes rangs pour contempler le degré de remplissage. Tout était plein à ce niveau-là, sauf bien sûr les deux places de ma rangée. Ni une ni deux, ils piétinent presque les pieds de ma copine qui ferme le rang sans lui demander pardon et sont sur le point de faire pareil avec moi quand je me lève pour les laisser passer. Ils demandent alors au spectateur tranquillement assis à deux fauteuils de moi de se décaler. Le film est commencé depuis quatre ou cinq minutes à ce moment-là. C’est tout juste s’ils s’excusent de déranger. Je sais très bien qu’il reste quelques places devant, alors je râle allègrement et sans discrétion pour le dérangement causé. Mon état d’énervement passe au niveau B.
A peine assis, le couple commence déjà à se murmurer des commentaires, et la fille à envoyer des sms avec son Blackberry. Gé-nial. Des spectateurs comme je les aime. Je passe directement au niveau d’énervement C. Okay, je souffle un grand coup, je prends sur moi en leur faisant tout de même comprendre qu’ils pourraient être plus discrets, ce sera peine perdue pendant toute la durée du film. Si encore c’en était resté là, je crois que j’aurais pu rester calme, et mon état d’énervement redescendre un peu. Mais quelques minutes après que mes nouveaux voisins se soient installés à ma droite, j’ai commencé à sentir le sol trembler. Y a une escouade de soldats qui court vers le front ou quoi ?
La porte de la salle, située à côté de l’écran, s’ouvre soudain dans le bruit de conversations multiples. Ils ont 14 ou 15 ans tout au plus et semblent entrer tel un troupeau. Un, deux, trois, quatre, cinq, six… j’arrête de les compter quand je crois qu’il s’agit là d’une classe qui s’est trompé de salle. Mais on est dimanche, et il s’agit là d’une bande d’ados, pas loin de dix, filles et garçons, qui arrive en retard et vraisemblablement, vu le nombre de fauteuils libres qu’il reste dans la salle, sans être passés par la caisse et le contrôle des billets. Soit ils auront trouvé une entrée dérobée, soit ils seront sortis d’une salle et seront venus jusqu’à celle-là. Ils ne se posent même pas la question des premiers rangs et montent vers le fond de la salle dans le bruit, ce qui pousse les spectateurs à leur crier en retour d’une seule voix un gros « CHUT ! » auquel ils font à peine attention. Niveau d’énervement ? D. Arrivés tout en haut de la salle, quand ils comprennent que celle-ci est pleine et qu’ils ne peuvent monter plus haut, ils restent dans les escaliers de la travée et commencent à discuter à voix haute de la stratégie à adopter. Ce qui leur vaut un magnifique « Putain vos gueules » d’une rangée plus haut, à quoi l’un d’entre eux lui répond « C’est qui qui a dit ça, toi ta gueule ! ». Niveau E.
Sinister avait la réputation de faire peur, mais je dois avouer que je n’étais pas assez plongé dans le film pour le sentir tout à fait, malgré l’atmosphère inquiétante… Malgré les gamins de la travée qui criaient allègrement de peur, et en rajoutaient même à l’évidence pour le plaisir, j’ai vu venir la fin des kilomètres avant qu’elle arrive. Pendant ce temps, ma voisine continuait avec ses textos, bref tout était formidable. Lorsque le film s’est achevé et la lumière revenue, le couple est reparti en nous marchant sur les pieds, les gamins se sont relevés tout contents, et les spectateurs de la séance suivante entraient pendant le générique de fin (une autre chose que j'adoooore). Moi, je me coltinais cette gueule de bois si spécifique des séances de cinéma gâchées. Une envie de tout exploser, une amertume désenchantée, un désir de ne plus jamais remettre les pieds sur les lieux du crime… un peu de tout cela à la fois. Il est grand temps que je retourne aux séances du matin moi, avant que je ne commette une bêtise… Le respect des autres dans une salle de cinéma, ça reste une notion bien vague pour nombre de spectateurs, même dans celles où quoi que l’on voie, « on se cultive ».