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Les racines du ciel de Romain Gary

Publié le 19 novembre 2012 par Busuainn_ezilebay @BusuaInn_Ezile

Les racines du ciel de Romain Gary

Romain Gary par J.L SIEFF


Dans un monde où le matérialisme est prépondérant sur l’idéalisme (rêvez vous encore ?) sans  renoncer à la puissance idéologique, où la technique règne chaque jour un peu plus sur le quotidien des affaires et des relations humaines, où l’utilitarisme prévaut sur tout le reste, existe-t-il encore de la place pour ce qui est mais ne sert à rien sur un plan strictement utilitaire ou politique ? 
Les racines du ciel de Romain GaryLes éléphants sont le symbole d’une manifestation de la nature qui présente tout de l’anachronisme devant cette machinerie qui tente de mécaniser-réguler l’existence. 
Moi je veux bien admettre que nous sommes peut-être des survivants d'une époque révolue, et que le poids des réalités ignobles nous fera bientôt disparaître de la planète, un peu comme les éléphants, tenez.” p. 96
Les éléphants, par leur taille, leur corpulence et leur térritoire de vie dérangent. Ils sont le symbole (massif !) de cette liberté qui s’ébroue dans la faune africaine et qui correspond si mal aux mécanismes dans lesquels le monde moderne voudrait contenir sa vision du réel (pour le maîtriser toujours plus). 
Il [...] me demanda sarcastiquement si je savais que les éléphants étaient en réalité les derniers individus – oui, monsieur – et qu'ils représentaient, paraît-il, les derniers droits essentiels de la personne humaine, maladroits, encombrants, anachroniques, menacés de toutes parts, et pourtant indispensables à la beauté de la vie.” p. 153
Les éléphants sont aussi pour les hommes riches, l’ivoire et l’argent que cela représente. Les éléphants sont également pour les hommes pauvres, un réservoir de nourriture, ou encore pour les superstitieux l’objet de quelques croyances. Le progrès et les pratiques traditionnelles ancestrales, même s’ils peuvent sembler antinomiques à première vue, conduisent finalement à la même issue : les éléphants sont faits pour disparaître de la surface du globe, et rien ne semble pourvoir stopper cette fin devenue inexorable.
Les racines du ciel de Romain GaryRien, sauf une chose : la marge d’humanité toujours présente et encore vivante. “Ils ne pouvaient donc imaginer à quel point la défense d’une marge humaine assez grande et généreuse pour contenir même les géants pachydermes pouvait être la seule cause digne d'une civilisation.” p.259
En 1956, Romain Gary publie Les racines du ciel et c’est donc de cette marge dont il est question dans ce livre.  Qu’elle est-elle ?  C’est ce plus qui fait de l’être humain un homme, soit quelqu’un capable de dépasser la nécessité, y compris celle dont il est l’auteur, contre toutes les pressions matérialistes, progressistes, financières, religieuses. 
Cette capacité exige de l’idéal, et non de l’idéologie. C'est cet idéal ce qui anime le héros principal Morel. C'est un français qui parcours le Tchad (serviette en cuire et pétition à la main) pour la sauvegarde des éléphants. Celui-ci sera néanmoins accompagné par des idéologues entrés dans la clandestinité pour faire de l’Afrique ce que leur idéologie leur commande. Morel ne cède pas devant eux, soutenu qu’il est également par une femme, une allemande de Berlin.
C’est tout un symbole que quelques années après le conflit le plus meurtrier de l’histoire, Berlin (symbole de l'Allemagne) meurtri soit associé à une aventure africaine dont l’avancée se déroule dans le berceau de l’humanité. Ce combat pour les éléphants, donc pour la nature, est comme une renaissance de l’homme par l’affirmation de cette marge qui le caractérise. Romain Gary, avec Les Racines du Ciel, pousse un cri de révolte contre le nihilisme et signe l’une des premières œuvres écologistes. Les Racines du ciel, roman (mais pas que...) publié en 1956 (éditions Gallimard) a obtenu le prix Goncourt la même année et créera une vive polémique qui réjouira Romain Gary.
 L'auteur, sous un autre pseudonyme Emile Ajar obtiendra un deuxième prix Goncourt avec « la vie devant soi ».
Ce roman, écrit avant que Romain Gary ne prenne le pseudonyme d'Émile Ajar, connut un grand succès et fut adapté au cinéma par John Huston en 1958, sous le titre : Les racines du ciel 


Romain Gary parle de son livre, les racines du ciel.

Le roman fait vivre de nombreuses personnalités riches, avec beaucoup d'épaisseur, avec une écriture fluide et dense à la fois et donne la parole à chacun, offrant ainsi l'opportunité de différents points de vue aboutissant à un récit tout en relief. Il donne la parole à chacun les anti et les pro. Quelques longeurs sont toutefois à signaler, savoir jouer à saute paragraphes/pages... Les deux personnages centraux, pivots du roman sont Morel et l'Afrique. Morel est décidé à faire cesser l'extermination (notamment la chasse « sportive » ou pour le trafique d'ivoire). Comment faire cohabiter les humains avec « la plus grande image de liberté vivante qui existât encore sur terre. »
Morel lutte âprement pour la préservation des animaux, la nature et la vie. Par ce biais, il veut que les hommes retrouvent les racines du ciel que sont selon lui : l'honneur de l'humanité, la dignité,la liberté.
L'Afrique a un rôle majeur. Cette Afrique du milieu du Xxe siècle, spécialement l'AEF (Afrique Equatoriale Française) pas encore indépendante mais où cette idée d'indépendance commence à prendre forme ici et là. 
D'ailleurs, le Ghana  deviendra indépendant en 1957, un des pays précurseur de ce qui a été appelé les indépendances.
Les racines du ciel de Romain GaryL'histoire raconte la lutte de Morel, ses "coups" en faveur des éléphants, la traque (molle) de Morel par les autorités, les conflits d'intérêt entre les engagements des uns et des autres : pour les éléphants, pour l'indépendance, pour la puissance coloniale, pour la sauvegarde des traditions, pour la marche en avant de l'homme vers la modernité, pour l'intérêt à court terme, pour l'honneur de l'homme. 
Morel croit en son projet, porteur de son idéal. Pour lui, « tout n'est pas encore salopé, exterminé, gâché. » Il se dit « qu'il existe encore quelque chose de beau, de libre sur cette terre de merdeux. Les éléphants n'y sont pour rien, pas coupables » de ce que deviennent les hommes et la terre qu'ils habitent, envahissent, détériorent au nom du progrès. Mais finalement, « nous sommes tous des êtres humains, tous d'une même grande et belle famille zoologique. »
Selon Morel sous la plume de Romain Gary, « L'Afrique perdra lorsqu'elle perdra les éléphants. Comment pouvons-nous parler de progrès, alors que nous détruisons encore autour de nous les plus belles et les plus nobles manifestations de la vie ? »
Romain Gary, au travers de son roman, nous interroge et nous interpelle sur l'impact des humains sur cette planète, sur ce qu'il reste de leur humanité alors qu'ils sont en même temps capables des pires atrocités. Il pose les questions relatives à la place de l'Afrique dans le monde, le poids, le respect des traditions ancestrales. 

Les racines du ciel de Romain Gary

Crédit photo : Zyrtec


  Un extrait :
C'était pas dizaines de milliers, dit-il, que les éléphants étaient abattus chaque année en Afrique – trente mille, l'année dernière – et il était décidé à tout faire pour empêcher ces crimes de continuer. Voilà pourquoi il était venu au Tchad : il avait entrepris une campagne pour la défense des éléphants. Tous ceux qui ont vu ces bêtes magnifiques en marche à travers les derniers grands espaces libres du monde savent qu'il y a là une dimension de vie à sauver. La conférence pour la protection de la faune africaine allait se réunir bientôt au Congo et il était prêt à remuer ciel et terre pour obtenir les mesures nécessaires. Il savait bien que les troupeaux n'étaient pas menacés uniquement par les chasseurs – il y avait aussi le déboisement, la multiplication des terres cultivées, le progrès, quoi ! Mais la chasse était évidemment ce qu'il y avait de plus ignoble et c'était par là qu'il fallait commencer. Savait-elle par exemple qu'un éléphant tombé dans un piège agonisait souvent, empalé sur des pieux, pendant des jours et des jours ? Que la chasse au feu était encore pratiquée par les indigènes sur une large échelle et qu'il lui était arrivé de tomber sur les carcasses de six éléphanteaux victimes d'un feu auquel les bêtes adultes avaient pu échapper grâce à leur taille et à leur rapidité ? Et savait-elle que des troupeaux entiers d'éléphants s'échappaient quelquefois de la savane enflammée brûlés jusqu'au ventre et qu'ils souffraient pendant des semaines ? - il avait entendu pendant des nuits entières les cris de ces bêtes blessées. Savait-elle que la contrebande de l'ivoire était pratiquée sur une grande échelle par les marchands arabes et asiatiques qui poussaient les tribus au braconnage ? Des milliers de tonnes d'ivoire vendues chaque année à Hong-Kong… Trente mille éléphants par an – pouvait-on réfléchir un instant à ce que cela représente sans avoir envie de saisir un fusil pour se mettre du côté des survivants ? Savait-elle qu'un homme comme Haas, fournisseur choyé de la plupart des grands zoos, voyait crevé sous ses yeux au moins la moitié des éléphanteaux qu'il capturait ? Les indigènes, eux, au moins avaient des excuses : il n'y avait pas assez de protéines dans leur régime alimentaire. Ils abattaient les éléphants pour les manger. C'était, pour eux, de la viande. La préservation des éléphants exigeait donc, en premier lieu, l'élévation du niveau de vie en Afrique, condition préalable de toute campagne sérieuse pour la protection de la nature. Mais les blancs ? La chasse « sportive » - pour la « beauté » du coup de fusil ?”

Il avait aussi le plus grand respect de l'humour parce que c'était une des meilleures armes que l'homme eût jamais forgées pour lutter contre lui-même.”p. 99
Les gens se sentent tellement seuls et abandonnés, qu'ils ont besoin de quelque chose de costaud, qui puisse vraiment tenir le coup. Les chiens, c'est dépassé, les hommes ont besoin des éléphants.”p. 134
Et vous ? 
Quel est votre éléphant ?






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