QUELLE METHODE D’ALIMENTATION
POUR LE LAPIN ?
Il n'est pas d'élevage possible d'un animal quelconque sans que soit au préalable résolue la question primordiale de son alimentation.
On pourrait dire que cet axiome est particulièrement exact pour celui‑ci, tant la solution du problème s’avère à la fois délicate et d'une grande importance pour la réussite zootechnique et commerciale de cet élevage.
Tout problème d'alimentation animale comporte, en effet un double aspect.
Il est tout d'abord un problème de zootechnie; il s'agit, connaissant les différents éléments que tout être vivant doit trouver dans sa nourriture pour croître, vivre et se reproduire dans des conditions optima, de déterminer quelle est pour une espèce animale donnée la proportion de chacun de ses éléments à adopter et quelle quantité de l'ensemble ainsi défini lui est nécessaire chaque jour, compte tenu de son âge, de son état, de son utilisation. Il s'agit, en d'autres termes, d'établir son "équation alimentaire".
Il faut encore, dans l'application pratique de cette "équation", choisir les aliments simples à faire entrer dans le rationnement sans oublier deux points de vue : il faut que ces aliments simples sous le double aspect de leur volume et des préférences naturelles de l'espèce soient de nature à satisfaire les exigences digestives et gustatives des animaux. Il faut, en second lieu, que le coût de ces aliments simples soit tel que le prix de revient général de l'alimentation adoptée reste compatible avec l'exploitation que l'on se propose de faire de l'élevage envisagé.
C'est donc sous ce double aspect qu'il est nécessaire d’étudier le problème de l'alimentation du lapin, comme celle de tout autre animal, et c'est ainsi que nous procéderons.
Mais ‑ et dès l'abord, nous voici aux prises avec les particularités de cet élevage ‑ il nous faut, avant de rechercher quelles sont les meilleures méthodes d'alimentation moderne, effectuer un bref examen de celles précédemment suivies, afin de mettre en lumière les limites qu’elles imposent à l'éleveur soucieux d'efficacité et de productivité.
Ce sont toutes des méthodes d'alimentation dites "naturelles", par opposition à celles que l'on peut préconiser aujourd'hui et qui ont le caractère commun de faire appel à des aliments composés et de fabrication "artificielle".
Elles restent encore parfois employées de nos jours. Elles ont pour caractère commun de fournir aux lapins des aliments simples, n'ayant subi que les préparations élémentaires (cuisson, mélanges). Ces aliments sont choisis et en principe incorporés dans la ration pour que celle‑ci reste équilibrée, c'està‑dire que les éléments bio‑chimiques y figurent dans la proportion établie par « l’équation alimentaire ». Néanmoins, dans la plupart des cas, les exigences du rationnement et de la commodité conduisent à chercher un équilibre de l'alimentation étalé sur une période relativement plus longue que la période idéale, la journée de 24 heures. Autrement dit, la ration journalière apparaît souvent excédentaire pour certains principes et déficitaire pour d'autres, l'éleveur rétablisant l'équilibre le lendemain. En définitive, l'équilibre ne s'obtient que par des séries de déséquilibres quotidiens compensés. De même que la marche d'un homme n'est qu'une série de chutes évitées, de même l'alimentation traditionnelle du lapin n'est qu'une suite d'erreurs corrigées.
Ceci peut n'avoir qu'une relativement faible importance dans la mesure où, dans l'application pratique, l'éleveur s'attache à fournir à ses sujets une nourriture bien étudiée, saine et suffisamment abondante pour que chaque lapin puisse corriger de lui‑même sur la quantité l'éventuelle insuffisance de la qualité.
Encore faut‑il observer ici qu'il est vraiment regrettable de laisser à l'animal le soin de déterminer lui‑même sa propre ration et que cela peut conduire à quelques mécomptes...
Mais surtout très vite gagné par la routine, l'éleveur se fie à son "flair" et finit par distribuer les aliments disponibles suivant la saison, sans attacher assez d'importance à l'équilibre de la ration dans laquelle des aliments de trop faible valeur nutritive occupent rapidement une place trop importante.
Les besoins théoriques, cependant connus, sont perdus de vue, les formules types de repas indiquées par nombre d'ouvrages, bouleversées par l'absence occasionnelle de tel ou tel élément à laquelle il est remédié par l'introduction d'un remplaçant sans que l'équivalence nutritive soit respectée.
Cette alimentation, composée d'un nombre considérable d'éléments de valeur très inégale, exigerait d'être attentivement étudiée et les principes dégagés scrupuleusement appliqués.
En pratique, ces principes sont l'objet d'une application "pifométrique", si l'on veut admettre cette expression imagée. C'est le règne de l'imprécision et du hasard : l'éleveur fait de son mieux avec les aliments dont il dispose.
On ne saurait, certes, le lui reprocher : il est déjà assez difficile d'établir une ration "d'aplomb" pour un spécialiste habitué, pour que l'on puisse faire grief à un éleveur de ne pas réussir un ensemble "nutritivement" cohérent avec les éléments disparates dont il dispose.
Et d'assembler alors grains, fourrages verts, foins, racines issues de meunerie, sans qu'un choix raisonné préside à la composition des rations : adieu, alors, la belle équation des besoins théoriques.
Au petit bonheur la chance, au hasard des sarclages du jardin, des restes ménagers, de la réussite des cultures ‑ on a raté le semis de carottes, mais réussi les choux ! ‑ de la hausse du prix de l'avoine et du son, l'élevage, et surtout le petit élevage va son train , de petits mécomptes en succès occasionnels, de portées réussies en portées catastrophiques, à la merci des maladies, atteintes d'insuffisance alimentaire chronique, perpétuellement au bord de l'avitaminose.
Certes, de nombreux éleveurs, autrefois et aujourd'hui, ont su éviter ces écueils, ils sont parvenus à des résultats souvent remarquables. Mais il n'y sont arrivés que grâce à des qualités qui étaient celles de l'homme et non de la méthode : une grande connaissance pratique du lapin, une grande habitude, une intuition aiguisée leur a fait éviter les pires dangers. Cependant, nous verrons que leurs soins et leurs peines sont payées de résultats inférieurs en moyenne à ceux qu'ils auraient pu en espérer.
En théorie, ce système d'alimentation "naturelle" est justifié par un certain nombre d’arguments. (à suivre)
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