Tous les ans, le même rituel, une fois la route prise, on oublie sa vie d’avant et on se prépare. Seront-ils tous là? M’attendront-ils? Tant de questions et déjà des doutes.
Doit-on revenir sur ce qui a été dit l’été dernier? Lorsqu’on ne s’est même pas excusé d’avoir été blessant. Il faudra faire table rase de l’année dernière ou bien les vacances seront gâchées.
Et puis voilà l’arrivée, tant attendue, on regarde par la vitre mais personne n’est là. Il est déjà tard, peut-être sont-ils allés faire un tour, ou bien ils sont en train de manger peut être.
On s’installe, on se prépare, on mangera plus tard. Vite descendre au lieu de rencontre, le lieu de vie du village. Mais quelle désolation, quelle tristesse. Personne, pas même ce chien errant tellement crasseux qui passe sa vie à quémander un petit quelque chose.
Déception bien sûr, mais on ne veut pas laisser la première impression être la bonne. C’est tout juste valable pour les proverbes ça… Alors on se balade dans les rues désertes, le silence omniprésent semble presque voulu. Toute vie semble avoir déserté les ruelles. L’eau ruisselle dans la calade sans discontinuer, seule source de bruit, si légère qu’on l’oublie presque aussitôt.
L’astre lunaire éclaire les pierres disjointes de ces vieilles rues pavées. Chaque fenêtre est fermée, les volets clos ou alors branlants et tenus par quelques bricoles. La nuit est fraîche comme souvent dans ces collines. Mais ce soir le froid est plus omniprésent encore que l’année dernière semble-t-il. Pas de vent qui descend au cœur de la végétation, juste le silence.
Tout l’empressement que l’on a mis à préparer les valises, à faire la route au mépris de la fatigue. Tout ce temps passé à imaginer les retrouvailles, ce qu’on allait bien pouvoir dire. Puis finalement se trouver tellement seul au milieu de ces murs tordus qui semblent chaque année se pencher un peu plus les uns sur les autres.
On lève la tête vers le ciel, grâce au manque de lumière publique on peut voir les étoiles, seules lueurs qui viennent égayer ce décor oublié. Tiens c’est déjà la nuit, et il est tard, peut-être la vie a-t-elle repris ses droits sur la place du village. Un petit détour par le grand terrain sur lequel les gens ont l’habitude de garer leurs voitures. Mais non, rien à part ces traces sur le sol, seuls vestiges des passages nombreux et réguliers.
Et cette herbe roussie par le soleil et par le feu. Ah oui le feu, on l’avait presque oublié. C’est vrai que lorsqu’on fait les choses par habitude, on oublie les événements ponctuels.
D’ailleurs où sont passées les carcasses, les tôles, le plastique fondu?
Il fait nuit, peut-être sont-elles toujours au fond du terrain, là où elles ont été entreposées, montagne de déchets et seuls souvenirs de ce moment.
Toujours personne sur la place, la fontaine ne marche même pas, il faut dire que sans personne pour l’entretenir, elle a dû geler cet hiver et l’eau doit s’écouler d’une canalisation percée quelque part. Comment peut-on en arriver là?
Des années en arrière lors de son arrivée il se souvient, on le moquait, lui le chétif, le petit, le seul à venir d’ailleurs. Il avait hérité d’une vieille bicoque biscornue au cœur de ces vieilles pierres. Un village si petit qu’il n’apparait pas sur les cartes. Un de ces hameaux où les habitants vivent reclus, entre eux. Il avait essayé de s’intégrer, tous les ans il avait essayé. Mais peine perdue, quand on n’est pas du village on est et on reste un étranger.
Et voilà que l’année dernière, on en vient à le considérer, à lui prêter de l’attention. Il a gagné beaucoup d’argent et il ne s’en cache pas. Après tout pourquoi avoir honte?
Une jeunette du village lui montre même de l’intérêt, elle est belle, juvénile, une beauté fragile. Sa poitrine menue pointe sous ses jupes légères et il n’en faut pas plus pour éveiller son désir.
Un soir ils sont seuls, le village est réuni dans l’église pour l’une de leur sempiternelle réunion à huis clos. Il n’a jamais pu y assister, mais cette année la jeunette reste avec lui. Il lui fait un peu la cour, lui cueille quelques fleurs champêtres et lui déclame quelques vers. Elle sourit, mais elle semble timide. Il lui tient la main, elle ne l’a pas repoussé. Et puis il s’arrête, se tourne vers elle et prend sa main entre ses doigts. Il approche son visage pour l’embrasser mais elle le repousse. Il tient son poignet fermement, qui pourrait lui en vouloir. Elle lui a laissé comprendre ce qu’elle veut, même si elle ne l’a pas dit. Il la presse contre lui, son corps tremble. Elle a peur. Elle essaye de le frapper, mais il est bien plus fort qu’il n’en a l’air. Alors il la renverse en arrière, il ne fait pas attention au bruit que fait son crane en heurtant le sol. Elle ne bouge plus, c’est qu’elle doit avoir changé d’avis, elle semble offerte, alors il l’honore, de tout son corps, de toute son envie.
Ce sont les cris des gens du village qui le sorte de sa torpeur, il se lève rapidement, le pantalon sur les chevilles, il se rhabille, il a beau leur expliquer que c’est elle qui a demandé, personne ne l’écoute. Ils hurlent sur lui, ils le menacent. Heureusement qu’il porte une arme, l’argent amène les problèmes lui a-t-on dit. Et on avait raison. Ils parlent de prison, ils veulent lui faire du mal, alors il règle le problème, froidement, calmement. Chaque détonation crève le silence des collines, des oiseaux s’envolent affolés. Puis le calme revient enfin. Ils sont allongés comme des poupées sanguinolentes. Il les traine jusqu’à leurs voitures là-bas sur le grand terrain puis met le feu. Il fait bon près du brasier, le rougeoiement l’apaise, il se sent bien. Lorsque tout est fini, il nettoie les traces, personne ne vient ici à part lui. Il va ranger ses affaires, il se prépare à partir, il a hâte de revenir l’année prochaine et de les retrouver. Peut-être enfin vont-ils finir par le considérer comme un des leurs, un membre du village à part entière…