Il y a plus qu’une différence de personnalité dans cette élection
interne : l’enjeu est le choix entre une UMP Chirac-Juppé et une UMP Sarkozy.
Le précédent de 1999
Première fois ? Peut-être pas après tout, car l’élection du président du RPR en 1999, après la démission
inattendue de Philippe Séguin, n’a pas été non plus qu’une simple formalité. Les deux protagonistes de
2012 peuvent même l’attester puisque François Fillon avait été lui-même candidat à la présidence du RPR
(par "séguinisme") et il n’avait atteint que la troisième place (24,6%) au premier tour du 20 novembre 1999, tandis que Jean-François Copé avait fait un "ticket" avec Patrick Devedjian arrivé en quatrième et dernière place (8,9%).
Ne restèrent finalistes que Jean-Paul Delevoye (35,3%), soutenu par Jacques Chirac et Alain
Juppé, et Michèle Alliot-Marie (31,2%) qui avait décidé de sa candidature de manière isolée mais avait
reçu pour le second tour le soutien de François Fillon et de Jean-François Copé. Le 4 décembre 1999, Michèle Alliot-Marie gagna avec 62,7% contre son concurrent Jean-Paul Delevoye dans un scrutin
qui mobilisa 57 171 votants sur les 81 976 adhérents inscrits.
Après son cinglant échec, Jean-Paul Delevoye quittera la politique active quelques années plus tard et après
un poste ministériel, multipliera les hauts postes de prestige : Médiateur de la République (2003-2010) et depuis 2010, Président du Conseil économique, social et environnemental. Quant à
Michèle Alliot-Marie, elle enregistra sans plaisir deux années plus tard l’absorption de l’UDF dans le RPR par la création de l’UMP et le retour sans enjeu d’Alain Juppé à sa présidence.
L’enjeu est majeur
L’enjeu du scrutin interne du 18 novembre 2012 est majeur, et d’une importance au moins égale à celle du
congrès de Reims de novembre 2008 pour le parti socialiste ou de sa primaire en octobre 2011. Son issue sera déterminante dans le paysage politique sans doute pour les dix
prochaines années.
Il s’agit bien sûr d’un combat de personnes qui mettent toute leur énergie au service de leur ambition, mais
il s’agit de bien plus que cela aussi. Il s’agit de l’évolution de l’UMP, ou plutôt, d’un grand parti de centre droit et de droite qui devra habilement se positionner entre un FN toujours plus en surenchère populiste et un PS qui
appliquera de plus en plus le programme de l’UMP à l’exception de quelques marqueurs insignifiants pour l’emploi et l’économie, tout en comptant avec une UDI qui semble réussir son décollage.
Première vision
Si l’on présente les choses de manière assez succincte, les deux protagonistes sont très différents l’un de
l’autre.
François Fillon a l’avantage des sondages de popularité, sa longue carrière ministérielle et son tempérament assez réservé (le contraire de celui de
Nicolas Sarkozy) lui ont façonné une stature d’homme d’État incontestable. La question est de savoir s’il saura diriger un grand parti
d’opposition et surtout, l’amener à la victoire dans les élections intermédiaires (et en particulier, les élections municipales et européennes du printemps 2014).
Jean-François Copé a adopté une autre attitude. Aussi précoce que son concurrent dans ses responsabilités politiques, il a connu l’échec (en
particulier en juin 1997) et montre un dynamisme et une ambition décomplexés qui l’amènent à imiter presque parfaitement son nouveau modèle, Nicolas Sarkozy, qui fut pourtant longtemps un rival.
Réputé arrogant, il en remet souvent une couche dans sa manière de parler et peut se vanter de savoir mobiliser surtout les jeunes militants qui veulent en découdre avec la gauche de façon pas
forcément très subtile.
D’un côté, les élus et les cadres ; de l’autre, les militants. C’est une caricature bien sûr, car le 18
septembre 2012, lorsqu’il s’est agi de montrer les parrainages des deux candidats, finalement, c’est François Fillon qui a gagné la bataille de la mobilisation interne alors que Jean-François
Copé contrôle encore l’appareil en tant que secrétaire général. On disait d’ailleurs que François Fillon était peu dynamique mais c’est bien lui qui a démarré (très tôt) les hostilités.
La situation à quelques heures du choix est d’ailleurs très crue : les propos désagréables fusent des
deux camps. François Fillon a même brandi le risque de dislocation de l’UMP en cas d’échec tandis que Jean-François Copé rejette le droit d’inventaire du sarkozysme et a tenu, notamment au Cannet
le 13 novembre 2012, des propos ouvertement populistes, où, à chaque phrase, il fustigeait "Paris",
"Saint-Germain" (mais qu’a-t-il contre ce beau quartier de Paris ?), en clair "l’etabishment parisien" face aux "provinciaux du vrai peuple" etc. en confondant savamment ses critiques contre
la gauche et celles contre une certaine "tiédeur" de son parti (le camp adverse).
Au fait, entre "droite décomplexée" et "droite tiède", cela ne vous rappelle-t-il rien ? Bien sûr, cela
nous fait revenir à un an en arrière, au second tour de la primaire socialiste, entre la gauche dure de
Martine Aubry et la gauche molle de François Hollande. Copé/Aubry versu Fillon/Hollande ? Clivant vs rassembleur ? Le mou rassembleur l’avait d’ailleurs brillamment emporté sur le clivant dur.
Savoir qui gagnera à l’arrivée relève d’une prédiction astrologique. Aucun sondage n’est capable de façon
pertinente d’indiquer la représentativité des tendances parmi les seuls adhérents UMP. Seulement celles des sympathisants, mais il y a une différence considérable. C’est d’ailleurs l’espoir de
Jean-François Copé, celui d’une "surprise". Au printemps 2011, Nicolas Hulot aurait dû, selon les
sondages, largement l’emporter sur Eva Joly pour la primaire de EELV et ce ne fut pas le cas. En revanche,
Ségolène Royal était en tête des sondages en novembre 2006 et ce fut bien elle qui fut choisie comme
candidate par les seuls encartés du PS. Le phénomène était différent pour la primaire socialiste d’octobre 2011 puisque tout le monde pouvait y participer, pas seulement les adhérents (y compris
des personnes qui ne voteraient pas socialiste).
Le phénomène de vote utile favorisera François Fillon ; le phénomène identitaire et militant (fier
d’être de droite, fier de vouloir ferrailler contre la gauche) avantagera Jean-François Copé.
Focalisation
Il est clair que malgré les habiles tournures de phrases, il y a désormais une réelle différence de fond entre François Fillon et Jean-François Copé.
Ce dernier l’a d’ailleurs constaté en disant que ce duel va bien au-delà de leur propre personne. Il
s’agit du positionnement de l’UMP.
En insistant avec beaucoup de malice sur la sécurité et l’immigration (par la voie de la laïcité, habile contournement de l’islamophobie), Jean-François Copé sait qu’il renforce la mainmise idéologique de Nicolas Sarkozy sur l’UMP. Cette malice est doublée d’une hypocrisie : il réfute les procès en
droitisation et pourtant, il n’y a pas un seul jour où il ne parle pas de "droite décomplexée". Incohérence verbale…
Cette droitisation a deux buts. Celui évidemment de recueillir la voix des militants de l’UMP attirés pour la plupart par Nicolas Sarkozy. Mais
également celui de récupérer les électeurs du FN. Une attitude qui avait semblé réussir à Nicolas Sarkozy
en 2007 mais qui lui a été fatale en 2012 : les électeurs de centre droit lui ont refusé leur vote le 6 mai 2012 à cause de ses propos inutilement stigmatisant alors qu’avec leur soutien, il aurait été confortablement réélu. C’était donc un mauvais
calcul de miser à fond sur cette droitisation dans une société française fragile qui avait besoin de "souffler" (cette société s’aperçoit maintenant qu’elle ne "soufflera" pas non plus avec
François Hollande qui va cliver les Français par des projets qui n’ont ni urgence ni importance).
Dans son meeting du Cannet du 13 novembre 2012, Jean-François Copé s’est donné quatre priorités : identité, autorité, compétitivité et
…générosité, mais pas celle de l’assistanat. Et il souhaite faire de l’UMP une sorte de "bureau des élèves", avec des œuvres sociales, des aides aux personnes en difficulté (soutien scolaire
etc.) sur la base du bénévolat mais aussi du retour d’ascenseur, l’engagement des personnes aidées à en aider d’autres. C’est quasiment la manière dont les Frères musulmans ont réussi à gagner
les dernières élections égyptiennes ! Cette proposition est habile tout comme celle d’instaurer les
"mouvements" (c’est-à-dire des courants sur la base de motions) pour faire cohabiter plusieurs tendances au sein de l’UMP. Il est clair que Jean-François Copé a un vrai projet pour le
fonctionnement interne de l’UMP tandis que François Fillon reste plutôt sur le principe classique du leadership.
Mais non seulement la droitisation de l’UMP est électoralement contreproductive (tous les ministres UMP en campagne présidentielle l’ont appris à
leurs dépens sur le terrain) mais elle est aussi idéologiquement dangereuse. Elle renforce au contraire les idées du FN de repli sur soi et de fermeture d’esprit et surtout, renforce son
électorat potentiel selon le vieil adage qui se vérifie souvent : il vaut mieux choisir l’original à la copie. La droitisation de l’UMP renforce les idées du FN et donc, à long terme,
renforce le FN, d’autant plus que sa leader a de la ressource, tandis qu’elle repousse les électeurs du
centre droit qui s’opposent fermement à ce genre de tendances. Conclusion, elle ne peut mener qu’à favoriser le FN et, d’une certaine manière, à renforcer l’UDI qui deviendra l’antichambre
sociale d’une UMP décomplexée.
C’est ce danger que pointe François Fillon, soutenu d’ailleurs par la majeure partie des responsables de l’UMP. Ce n’est pas un hasard si François
Fillon a été très cordialement accueilli à Bordeaux le 14 novembre 2012. Malgré sa neutralité de principe, Alain Juppé a bien compris que l’enjeu était assez clair, entre la poursuite de la
droitisation forcée de l’UMP (avec une nouvelle génération très dynamique et redoutable) qui va immanquablement la bloquer dans une opposition durable ou le retour à la modération responsable
comme le pratiqua l’alliance entre l’UDF et le RPR pendant vingt-cinq ans, ce qui la préparera à reprendre rapidement le pouvoir face à un parti socialiste déjà très impopulaire.
En d’autres termes, les encartés de l’UMP devront savoir s’ils veulent se faire plaisir à court terme (auquel cas Jean-François Copé paraît un choix
possible) ou s’ils souhaitent que leur parti revienne rapidement au pouvoir et dans ce cas, soit capable de rassembler une majorité de Français (auquel cas, François Fillon offre la meilleure
perspective).
Les soutiens
En fin de campagne, seulement quatre personnalités ont (à ce jour) refusé de donner leur position pour préserver leur chance de peser dans le
futur : Alain Juppé, Michèle Alliot-Marie, Bruno Le Maire et aussi Nathalie Kosciusko-Morizet qui, de son côté, vient de fonder le 14 novembre 2012 un nouveau parti, "la France
droite", qui critique d’ailleurs la droitisation assimilée à du marketing politique.
La plupart des autres élus ou anciens élus se sont déterminés. S’il n’y a pas de coupure idéologique (des "centristes" sont dans les deux camps, ainsi
que des "droite populaire"), il y aurait peut-être une légère césure générationnelle, les plus jeunes
étant plus susceptibles de voir en Jean-François Copé un homme d’avenir.
Soutiennent la candidature de Jean-François Copé : Luc Chatel, Michèle Tabarot, Nicole
Ameline, Patrick Balkany, Étienne Blanc, Philippe Briand, Gilles Carrez, Gérard Cherpion, Édouard Courtial, Olivier Dassault, Marc-Philippe Daubresse, Georges Fenech, Claude Goasguen, Henri Guaino, Michel Herbillon, Sébastien Huyghe, Christian Jacob, Denis Jacquat, Christian Kert, Pierre
Lequiller, Patrick Labaune, Valérie Rosso-Debord, Jean-François Mancel, Lionnel Luca, Marc Laffineur, Valérie Lacroute, Thierry Mariani, Franck Marlin, Alain Marsaud, Alain Moyne-Bressand, Henri
Plagnol (qui a rejoint l’UDI), Axel Poniatowski, Franck Riester, Thierry Solère, Éric Straumann, Dominique Tian, Catherine Vautrin, Marie-Jo Zimmermann, Jean-Claude Carle, Pierre Charon, Serge
Dassault, Jean-Claude Gaudin, Jean-Jacques Hyest, Roger Karoutchi, Philippe Marini, Jean-Pierre Raffarin,
Rachida Dati, Françoise Grossetête, Brice Hortefeux, Constance Le Grip, Isabelle Balkany, Charles Beigbeder,
Christine Boutin, Chantal Brunel, Geoffroy Didier, Emmanuel Hamelin, Maryse Joissains-Masini, Brigitte Kuster, François Lebel, Jean-Pierre Lecoq, Marie-Anne Montchamp, Nadine Morano, Hervé
Novelli, Guillaume Peltier, Éric Raoult, Marie-Josée Roig, Jean-Marc Roubaud, Jean Sarkozy, Olivier Stirn, et aussi Dominique de Villepin (soutien hors de l’UMP).
Soutiennent la candidature de François Fillon : Laurent Wauquiez, Valérie Pécresse,
François Baroin, Gérard
Larcher, Bernard Accoyer, Benoist Apparu, Xavier Bertrand, Bruno Bourg-Broc, Valérie Boyer, Bernard Brochand, Christian Estrosi, Dominique Bussereau, Gérard Longuet, Éric Ciotti, Bernard
Debré, Patrick Devedjian, David Douillet, Dominique Dord, Hervé Gaymard, Guy Geoffroy, Charles-Ange Ginésy, Philippe Goujon, Serge Grouard, Arlette Grosskost, Jean-Claude Guibal, Jean-François
Lamour, Philippe Houillon, Pierre Lellouche, Jean Leonetti, Alain Marleix, Philippe Armand Martin,
Jean-Claude Mignon, Jacques Myard, Patrick Ollier, Bernard Perrut, Christophe Priou, Arnaud Robinet, Lionel
Tardy, Guy Teissier, François Vannson, Jean-Pierre Vigier, Michel Voisin, Éric Woerth, Philippe Bas, Christophe Béchu, Philippe Dallier, Isabelle Debré, Hubert Falco, René Garrec, Francis
Grignon, François Grosdidier, Pierre Hérisson, Chantal Jouanno (qui a rejoint l’UDI), Fabienne Keller, Jacques Legendre, Christian Poncelet, Hugues Portelli, Henri de Raincourt, Michel Savin, François Trucy, Jean-Pierre Vial, Nora Berra, Joseph Daul, Alain Lamassoure, Tokia Saïfi, Gérard d’Aboville,
Martine Aurillac, Roselyne Bachelot, Édouard Balladur, Pierre-Christophe Baguet, Claude Guéant, Éric Besson, Joëlle
Ceccaldi-Reynaud, Jean-Claude Étienne, François Goulard, Françoise Hostalier, Alain Joyandet, François Kosciusko-Morizet, Benjamin Lancar, Pierre Méhaignerie, Marie-Luce Penchard, Étienne Pinte, Philippe Richert, Fabien Sans-Nicolas (au patronyme
amusant dans ce contexte, ancien jeune candidat UMP à la mairie de Grenoble), Jean Tiberi, Claude-Annick Tissot, Gérard Trémège, et aussi François Bayrou (soutien hors de l’UMP ; François Bayrou a en effet parlé de "choix raisonnable").
L’enjeu
En définitive, l’enjeu se réduit à la poursuite du populisme décomplexé initié par Nicolas Sarkozy ou à une
manière plus raisonnable et surtout, plus respectueuse de la cohésion nationale, comme l’avait pratiquée Jacques Chirac ou Alain Juppé.
Du scrutin interne de ce dimanche 18 novembre 2012 déterminera probablement la candidature UMP à l’élection
présidentielle de 2017 (même si une primaire ouverte sera probablement prévue en 2016 après avoir
critiqué celle du PS), et le développement des deux partis limitrophes, le FN et l’UDI.
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (16 novembre
2012)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
François Fillon.
Jean-François Copé.
La désarkozysation de
l’UMP.
Fillon vs
Copé.
Nicolas Sarkozy.
Jacques Chirac.
Un sérieux rival pour
l’UMP ?
Le
débat télévisé entre Copé et Fillon (25 octobre 2012).
Un
pouvoir socialiste aux abois.
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/ump-le-duel-cope-vs-fillon-pour-le-125945