[AVANT-PREMIERE]
Les personnages de Corsini n’ont jamais de bol : son cinéma s’amuse à faire éclater toutes leurs certitudes. Après les figures tourmentées de La Répétition ou de Partir (ses plus belles partitions), elle s’intéresse à trois êtres que tout (ou presque) sépare, trois êtres dont le destin va s’unir en une seconde tragique. Un soir, Al (Raphaël Personnaz) est ivre, il roule trop vite, blesse grièvement un homme moldave. C’est le mari de Vera (Arta Dobroshi), sans-papiers. Juliette (Clothilde Hesme), quant à elle, assiste à la scène de son balcon, témoin du délit de fuite du chauffard. Proche des œuvres morcelées d’un Innaritu, Corsini brise la linéarité de son récit, comme se brisent les vies de son trio. Comme d’habitude, elle ne condamne personne mais s’attache aux failles et aux nuances de ses protagonistes. Chez elle, pas de méchant, mais de simples pions pris au sein d’un engrenage qui les dépasse. Dans Trois Mondes, qui résume simplement l’intention de la cinéaste, Corsini brasse des thématiques intéressantes et riches : culpabilité et pardon, responsabilité et fatalité, morale et conscience. En filigrane : la société d’aujourd’hui, la lutte des classes. Un beau programme. Surtout venant d’une femme qui a elle-même été renversée par une voiture lorsqu’elle était ado, comme elle le confiait à l’avant-première toulousaine du film ; voiture qui a ensuite pris la fuite.
Elle sait donc de quoi elle parle : la solitude ressentie face à l’absence de coupable. L’injustice. L’incompréhension des victimes. C’est peut-être pour cela qu’elle a essayé d’élargir sa vision, de ne pas se contenter que d’un seul point de vue. Comme Juliette, celle qui sait tout mais qui ne dit rien (personnage qui intrigue, interroge), elle cherche à comprendre ce qui peut se passer dans la tête du chauffard, comment ce dernier peut continuer à vivre sachant ce qu’il a fait, comment gère-t-il toute la pression d’un entourage (qui l’efforce à se taire) et le poids des remords (qui l’efforce à tout avouer). Au milieu de ce duo (attiré par des forces noires et troubles), une femme. Corsini s’intéresse alors à une laissée pour compte, une épouse clandestine à qui la France aura tout pris. Une façon pour elle d’y inclure une question sociale qui lui est chère : les sans-papiers. Là aussi, elle trouve le juste ton : ni trop misérabiliste, ni trop engagée. Elle montre, observe, ne juge pas. Sa façon de gérer les émotions de ses personnages également, est sobre, nullement démonstrative. Comme d’hab', Corsini excelle pour brouiller les pistes et les âmes, et son film- se jouant des genres et des clichés- s’affirme, sans manichéisme aucun, sur le terrain de la subtilité.
Sortie: 5 décembre 2012