Drame sombre et passionnel, adapté du roman de Zola Thérèse Raquin rappelle un peu Les Diaboliques, tourné un an plus tard, avec Simone Signoret encore au centre d'une relation amoureuse meurtrière. Si Thérèse Raquin impose habilement son suspense, il reste cependant loin du fantastique et s'articule autour d'un couple au destin contrarié. Thérèse Raquin, c'est pas Les Enfants du Paradis, mais la tristesse qu'il exprime et l'empathie qu'il fait naître fonctionnent parfaitement.
Il y a de l'immoralité dans Thérèse Raquin ! Son final tragique et cruel laisse sauves les valeurs sociales et ne récompense pas ce que la morale sociale réprouve, mais Marcel Carné ne concède rien à sa volonté de permettre à Thérèse et Laurent de se réunir. C'est tout l'enjeux de Thérèse Raquin que de faire naître chez le spectateur une envie réelle que ce couple se forme, que Thérèse ait sa part du bonheur dans sa misérable vie. Les amants meurtriers de Carné sont des Bonnie & Clyde ! En choisissant de s'affranchir des règles morales et de franchir le rubycon les interdits, ils se condamnent à la clandestinité et se condamnent tout court !
Le spectateur vibre pour que le couple parvienne à fuir le piège dans lequel ils sont enfermés, parvienne enfin à accéder à une vie meilleure. Alors qu'il s'apprête à enfreindre les règles (adultère, abandon de foyer, crime, égoïsme...), Carné argumente avec soin les raisons de chacun à tout foutre en l'air. Thérèse est privée de bonheur, elle n'est pas une épouse aimée, elle n'est destinée qu'à servir son mari à la santé fragile et est reléguée au dernier plan des considération de son mari, dans sa vie "épouse docile" est synonyme de domestique, de personnel de maison ! Laurent, quand à lui, subit tous les jours les petites brimades que ses origines italiennes lui apportent, sa nature généreuse ne prend jamais le pas sur son étiquette de "rital". Malheureux chacun de leur côté, la rencontre de Thérèse et Laurent, la naissance de leur amour, est un remède à leur condition. Ce que Carné expose de la plus belle des manière qui soit, c'est un couple qui se réunit sur la base d'un bonheur qui leur est confisqué. Maudit dés le premier regard.
Carné donne offre au spectateur le destin de deux personnages qui n'ont pas le droit au bonheur. Dans un Lyon petit-bourgeois, la rencontre de deux personnes jusqu'alors invisibles aux yeux de la société, à peine réduits à leur fonction respective d'épouse et de camionneur, ne passera pourtant pas inaperçue. Leur tentative d'accéder à un bonheur légitime, ne rencontrera sur son chemin que des obstacles. Une belle mère hostile, les forces de l'ordre et un maître-chanteur à la candeur presque angélique. Derrière cette tentative d'évasion d'une société presque hostile à l'individu, et farouche gardienne de l'ordre qu'elle a installé, Carné distille une vision du bonheur bien cruelle. Celle d'une société qui emprisonne les individus dans leur condition sociale et scelle leur destin. Lorsque l'on s'éloigne du territoire sur lequel on est assigné, c'est pour se confronter à d'autres règles tout aussi rudes, comme par exemple ce marin rompu à la loi de la jungle, à la loi du plus fort... un prédateur lui même issu de la société pour répondre à ses besoins : un soldat gardien de l'ordre. Carné rêve d'un monde libre où l'amour serait plus précieux que la société ou sa morale, Thérèse Raquin est un rêve fou de ce monde utopique. Véritablement passionnant, grandement pessimiste, Thérèse Raquin décrit l'amour idéal par les maux qui lui sont envoyés... il décrit l'amour par énumération de tout ce qu'il ne sera pas... Thérèse Raquin est un drame provincial, fin et très attachant, bien plus riche et profond qu'une histoire d'amour impossible.
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