Je profite de mon passage à Lille mercredi prochain pour une table ronde sur la culture web (merci au Social Media Club Lillois pour l’invitation) pour sortir enfin ce vieil article un peu fourre-tout qui moisissait dans les cartons.
Le point fondamental concernant la culture digitale, est qu’elle n’est pas académique. Cette culture pose le problème du temps “chercheur”, qui doit prendre son temps pour analyser un sujet, le mesurer, et en faire une thèse (au moins 3 ans), face au temps “Internet” où cette culture évolue en permanence, reflétant les évolutions des usages et les questionnements de chacune des époques d’Internet depuis plus de 20 ans. Donc le chercheur va avoir du mal à décortiquer cette culture polymorphe voire protéiforme (c’est d’ailleurs un pléonasme). C’est donc aux “amateurs” (les pro-ams de Patrice Flichy) de faire le travail.
Je m’y suis collé depuis longtemps sur ce blog, à travers le mythe du geek, le transhumanisme, le porn, l’esprit cyber et même l’époque des webzines. Mais il était temps de vous parler vraiment des mèmes, constituant de base du folklore numérique. Je ne vais pas le faire en vous faisant le top 25 des mèmes les plus vus sur youtube, les plus idiots, les plus likés sur facebook (d’autres blogs de merde le font déjà). Non, je vais plutôt tenter de vous prouver l’utilité de la compréhension des mèmes pour les marques avant de vous présenter cette culture.Pour les marques, pas de culture sur Internet
Car hélas, la culture Internet est très peu ou pas du tout utilisée en publicité (*) en ce pour plusieurs raisons :
- Ca complexifie trop Internet dans la tête des clients. Pour la majorité des marques, Internet est un média. Un média sur lequel on met de la bannière et éventuellement du Community Management s’il s’agit d’un média social. Les agences ne veulent pas embrouiller les annonceurs avec des concepts compliqués (ils risqueraient d’aller chez la concurrence), alors ne leur prenons pas la tête avec de la “culture internet” que personne n’arrive à comprendre d’abord. La preuve, on n’en parle pas dans la presse spécialisée.
- Ca ne rapporte pas d’argent !Alors pourquoi se casser les fesses à essayer de comprendre des choses qui ne sont pas rentables ? Un Nyan Cat a pris 2h à faire pour un créatif pour avoir plus de 80 millions de vues. Comment voulez-vous que l’agence continue à avoir des locaux sur les Champs Élysées avec ça ? Donc non, ne parlons pas de culture internet, ça n’intéresse personne.
- Ca fait intervenir des compétences qui n’existent pas en agence. Le folklore digital, est dépendant de ressorts psychologiques, sociaux, philosophiques. Typiquement le genre de trucs qu’on ne peut pas copier/coller et qui ne se retrouve pas dans la presse média spécialisée en marketing digital. A l’instar du Community Manager dans les années 2008, les agences vont donc attendre que ce soit une vraie demande du client annonceur avant de recruter des spécialistes et d’investir sur ces compétences.
(*) qu’on ne me dise pas que la campagne Bouygues à base de chats était une campagne basée sur les mèmes. Les chats tout le monde aime ça, et ça ne date pas d’Internet. Ne confondez pas communiqué de presse bien fait et réalité.
La culture digitale ? Une question de stratégie digitale
Vous le savez, une bonne stratégie digitale doit équilibrer les aspects média et tactiques. Seulement, aujourd’hui encore, la plupart des annonceurs (pas toujours bien conseillés par leurs agences), choisissent de faire des stratégies digitales pure média.Les stratégies digitales média sont simples…
… elles considèrent Internet comme une télévision. C’est à dire un endroit où l’on peut mettre de la publicité et où le consommateur va voir/croire la publicité en cliquant ou likant. Ca coute cher, mais ça marche bien. Avec énormément d’argent, vous pouvez faire du trafic, de la page vue à gogo et même facilement du beuze-viral (en achetant de la diffusion home Youtube ou Dailymotion à 175 k$/ jour). Ces stratégies digitales sont souvent simples car elles sont basées sur une bonne idée créative, et plein d’achat média pour diffuser l’idée. Et comme ça coute très cher, votre agence média ne vous dira jamais que ça n’a pas marché et l’agence de pub non plus. Donc l’annonceur est content, pour lui sa campagne est forcément réussie avant même de commencer. On ne peut pas se tromper avec ce genre de stratégies aux résultats calculé à l’avance. Et Internet devient une télévision à laquelle il ne manque plus qu’un GRP (mais les agences média y travaillent).
Mais vous-même, utilisez-vous vraiment Internet comme une télévision ?
Non bien sûr, vous êtes beaucoup trop intelligent pour ça. Alors, pour vos consommateurs intelligents, il y a les stratégies digitales tactiques. Ces stratégies se basent sur la connaissance de votre cible (l’internaute – utilisateur), qui devient le cœur de votre dispositif.Seulement, pour bien connaitre ce public, pour bien communiquer avec lui, vous allez devoir plonger dans ses besoins digitaux et forcément sa culture numérique. Car comment approcher des publics si on ne connait pas leurs raccourcis sémantiques, leurs ponctuations imagées, leurs usages et qualités d’interaction ?Mais comment peut-on communiquer sans connaitre sa cible
On ne peut pas, et ceux qui vous disent le contraire vont vous prendre beaucoup d’argent pour pas grand chose.Un jour, nous nous moquerons des segmentations média publicitaires traditionnelles (femme, CSP+, urbaine, qui passe sa journée sur internet) car nous aurons enfin des outils qui nous permettront de discuter avec Paulette (45 ans, qui joue au Sodoku en ligne au bureau, qui aime lire des blogs, mater en live des vrais chats, et les macarons roses). Ce jour là, il nous faudra être capable de parler à Paulette avec sa culture, ses codes de communication online. Mais ce jour est déjà arrivé. Car sur Internet, vous ne vendez pas vos produits à un segment marketing mais à des vrais gens.C’est quoi le folklore digital ?
La culture digitale, comme toute culture, est composé de multiples éléments qui dépendent de la granularité de votre étude. Cela va de l’iconographie commune (les smileys) aux références visuelles en passant par des comportements endémiques (le folklore digital).A l’intérieur de ce folklore, on trouve les mèmes dont j’ai souvent parlé sur ce blog.Le terme mème a été inventé par Richard Dawkins dans son livre de 1976 The Selfish Gene. Pour lui, un mème est une unité de sens culturel (une idée, une valeur) qui se transmet de génération en génération (la contrepartie culturelle du gène). Alors au vu de cette définition, le mème a toujours existé. Seulement, il a trouvé sur Internet, un terreau idéal pour se propager rapidement. De plus, les outils de création visuelle s’étant démocratisés, tout le monde peut maintenant s’approprier l’unité de sens et le développer.William S. Burroughs disait que l’information est un virus. Il avait raison. Et pour vous le prouver, voilà une présentation des mèmes Internet à destination des professionnels de la publicité. Elle a été réalisé par et SoCult et Curiouser (mon labo).Je préfère préciser qu’il s’agit d’une prez à destination des publicitaires, car elle n’est pas très académique (on pourrait s’offusquer notamment de l’utilisation de culture sans en donner une définition préalable acceptable). Mais elle suffit amplement pour se poser de bonnes questions sur le sujet. Mème Culture : analyse du phénomène mèmes from So / CultUne autre ressource utile, cette timeline de vieux mèmes Internet, pour vous prouver qu’ils ne datent pas d’aujourd’hui. La première emoticon (smiley) est datée de 1982, le point Godwin en 1990 et le dancing baby en 1996 (non, Evian et ses bébés roller n’ont rien inventé).
Internet Memes on Dipity.
D’autres ressources pour en savoir plus :- Une page de mèmes identifiés sur la Wikipedia.
- Un article de Chris Wilson sur la propagation des mèmes.
- L’indispensable knowyourmeme, nettement moins drôles depuis qu’ils se sont fait racheté par Cheezburger
- Les internets, une référence hélas datée de 2011 (Vincent Glad est, hélas, passé à des activités beaucoup moins sérieuses, il fait de la télévision maintenant.)
Et pour finir (enfin), un dessin crobardé pendant la réalisation de la prez mème. C’est cadeau (le blog est en Creative Commons CC BY-NC-SA 2.0) !