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Chez Pole emploi

Publié le 16 novembre 2012 par Legraoully @LeGraoullyOff

Chez Pole emploi

Ca y est la machine va se lancer

Pole emploi m’a enfin convoqué

Je vais pouvoir monter mes dossiers

Et les remplir de multiples curiosités.

De suppositions

En contradictions

Supputant savoir sauver rien que cinq esprits à l’unisson.

Chaque nouveau cerveau de la nation

Peut devenir chef du service aliénation

Puis nous tester

Nous autres les rois des labyrinthes

Aux moustaches qui frétillent en pensant la récompense

Au bout de l’interrogatoire de circonstance.

Les dédales de couloir des administrations.

Le nirvana de l’aberration.

Je cherche le beau et jette un œil autour de moi

Sur des femmes aux différentes mensurations

Derrière des bureaux d’ou dépassent des talons et les soies

Les plus appétissantes me mettent en bien meilleure condition

Que le dégueulasse de la dernière fois

Sur lequel j’ai dégueulé avec préméditation.

Je l’avais par deux fois écouté tétanisé me proposer

De travailler comme conseiller en insertion professionnelle

De l’autre côté du bureau oblong en contreplaqué

Je sortirais apparemment de ma merde en m’occupant de celle

De ceux dont je n’ai strictement rien à carrer.

Ma conseillère ne pipe plus mot, concentré sur son écran LCD. Elle tapote nerveusement sur le clavier anthracite. Au début, je la regarde. Elle est plutôt jolie. Et de ces yeux ! Puis, je m’en lasse et je balaye la pièce du regard. Je repense à l’idée de mon conseiller d’avant. Moi. Conseiller. Un paumé formé et rémunéré pour sortir de la mouscaille d’autres paumés ? Non ! Ca ne pouvait pas marcher. Ça ne marchait déjà pas. Je n’aurais voulu participer à cette entreprise funeste pour rien au monde. Je ne serais responsable de personne et je ne dépendrais de personne.  Je me représentais tout de même la scène pour meubler le silence de la belle.

Moi. Conseiller. Le vaillant soldat de l’insertion et de la reconversion. Y’a pas à dire, c’était bandant.

Je serais dans un open space d’où j’entendrais parfaitement bien l’argumentation condescendante de mon collègue d’à côté, à gauche, Eugène, un roux aux dents écartées qui serait fan de Patrick Bruel et avec lequel je n’aurais absolument rien en commun. J’entendrais ses plus fumeuses répliques dans ce jargon incompréhensible propre aux conseillers. Je le parlerais couramment bien entendu. Mais tout de même. Je le mépriserais ce petit gaillard dégingandé, ce secouriste apprêté.

Ou alors je me moquerais de la pitoyable défense d’un des glaireux au chômage qui viennent pointer par centaines chaque jour, s’estimant lésé au niveau de leurs droits, là dans un des bureaux d’à côté. De cet autre coté dont j’étais encore il y a peu.

Maintenant je suis soumis.

Je suis supérieur.

Alors je me lève et passe voir ma collègue, Joanna, la seule du service qui n’avait pas l’air neurasthénisée pour qu’on rigole un bon coup en se ressortant les meilleures répliques du glaireux. C’est devenu une habitude par la suite. Un vrai jeu comique. Jusqu’à ce que la vieille arrive. Personne ne connaissait son nom. Ni même son prénom. En tout cas, plus personne ne bronchait plus lorsqu’elle débarquait. Non pas que quelqu’un ait un jour bronché. C’est pour dire. Il n’y avait que moi qui cabotinais en la regardant d’un air complice. Je devais me la foutre dans la poche pour garder mon job. J’essayais tout de même de ne pas en faire trop. J’avais parfois tendance à être un peu trop théâtral.

C’était une vieille garce à chat qui apparaissait d’un coup. Elle débarquait toujours d’un endroit différent et il y avait toujours un chat noir dans ses jambes d’où on ne savait d’où il sortait. On ne pouvait pas suivre leurs déplacements. Ni prévoir lorsqu’ils venaient. Ils arrivaient juste comme ça.

Elle avait fait de moi un zombie l’espace d’un instant, la deuxième fois que je la vis. Après ça a été. Ça devenait habituel. Je m’y faisais à la longue.

A plusieurs reprises, elle était apparu, elle s’était tenu debout et m’avait fixé pendant de longues minutes avant de me faire un clin d’œil du gauche alors que j’étais au téléphone avec un paumé. Elle avait détaché son chignon dont pas un cheveu ne rebiquait, avait secoué doucement sa crinière léonine qui m’apparaissait alors avec toute sa sublime, puis elle s’était passé les deux bras derrière la tête tout en se penchant suffisamment. Une occasion, carrément une invitation même, à reluquer dans son décolleté et voir son soutif. Il était rouge avec une dentelle noire affriolante. Elle tenterait bientôt de me racoler et de m’emmener, qu’on se prenne une muffée, que je finisse couché en chien de fusil à lui caresser l’intimité…

« Et ensuite ? Elle doit en être à un âge climatérique non ?

-   Je préfère ne pas y penser ! »

Qui sait ce qu’il peut se produire passé l’insatiable limite ?

Personne !

Personne ne s’en rappelle…

Aussi me concentrais-je rapidement mon attention sur la moquette couleur coquille d’œuf qui faisait pourtant remonter l’omelette que je m’étais forcé à ingurgiter ce matin. C’était ma technique pour éviter d’ouvrir une bière avant d’aller bosser. Mais je la voyais toujours du coin de l’œil en train de m’observer. Ca me foutait mal à l’aise. Je n’aimais pas ça. Qu’elle vienne me parler un bon coup et qu’on en parle plus. Je voulais lui dire de dégager à cette cougar. Lui dire de me foutre la paix. D’arrêter de me reluquer comme une rachitique sub-saharienne devant un banquet. Je n’osais rien dire. Et elle n’était pas si mal foutue pour son âge. Elle avait au moins le demi-siècle celle-là. Mais bien et tout. Du moins, sous ses vêtements. Allez savoir ce qui pouvait bien se cacher là dessous. Il faut dire aussi qu’elle en imposait dans son tailleur. A coup sûr, c’était du sur-mesure. Pour épouser un corps aussi parfaitement, ça devait en être. Et ça, ça aidait. Ses lunettes également, qui lui donnaient cet air sévère qui disparaissait uniquement lorsqu’elle les baissait pour me faire ses fameux clins d’œil. Ça devait surement être une grosse légume de la boite. Il valait mieux pour moi que je ferme ma gueule.

C’est donc ça du harcèlement sexuel ?

« Ohé ! Monsieur Alasti ?! »

La conseillère passe sa main devant ma figure. Cela me fait revenir à moi et je me rends compte que j’ai les yeux fixés, surement depuis un bon moment, sur sa poitrine, sur ses seins, formidablement moulés il faut le dire, dans un petit pull malheureusement assorti à la moquette. Je sens la chaleur de l’omelette à moitié digérée me remonter au fond de la gorge alors que je n’y pensais plus cinq secondes plus tôt. Allez. La bonne vieille technique. Je prends une bonne bouffée lente d’air vicié.

« Vous êtes avec moi ? Désolé pour l’attente, il y a quelques bugs me dit-elle en tapotant maintenant avec agilité sur les touches de son gros clavier gris.

-   Aucun problème. Je connais. Les joies de l’informatique…

-   Alors, je vois vous avez un projet professionnel ? Vous avez indiqué que vous vouliez être libraire.

-   Oui.

-   Et vous avez de l’expérience dans le domaine ? Dans la technique de vente ? Vous savez gérer les stocks, les commandes, les livraisons ? Vous connaissez les postures de sécurité adéquates ?

-   Non pas vraiment mais j’apprends vite. Je suis du genre futé. Et puis je lis énormément. Je pourrais conseiller les clients sur les auteurs qu’il faut éviter de lire à tout prix comme ça. De toute façon, travailler en librairie de nos jours, c’est attendre un client qui ne vient jamais en lisant des tonnes de bouquins et être payé pour le faire. Plus personne ne lit. Vous par exemple, vous lisez ?

-   Euh…Non… Mais… »

Je l’ai décontenancé. Ça crève les yeux. Elle doit débuter dans le métier. Elle n’est pas encore suffisamment acide pour être dans la boite depuis longtemps. Je la fixe. Elle me parle de mon écharpe. Elle la trouve jolie. Elle ne sait plus quoi dire. Elle balbutie. Elle bégaye. Elle me dit que tout dépend de l’endroit. Je lui assure donc qu’une librairie pour moi ce n’est pas la Fnac ou Hisler-Even. Elle écarquille ses yeux, qu’elle a vairons. Magnifique. Ces éclats différents l’un de l’autre. Je ne sais pas sur lequel des deux me concentrer. Lequel choisir ? Je lui lance alors mon regard le plus charmeur possible et lui décoche un beau sourire. Ça n’aide pas apparemment. J’aurais mieux fait de m’abstenir. Elle me parle maintenant de mes mocassins qui selon elles sont « bien noirs et bien brillants comme il faut ». Je suis bien content pour elle mais là j’ai envie de me casser au plus vite et d’aller boire la première bière de la journée qui m’attend dans la voiture. En plus je suis garé sur un parking privé. J’ai peur que des cons de riverains appellent la fourrière. Je la regarde donc droit dans les yeux et lui demande cash si on en a fini. Elle me regarde, éberluée et me répond par l’affirmative. Je ramasse mes affaires, je me lève, lui serre la main. Je crois déceler une pointe de déception dans son regard. Tant pis.

Je sors pour enfin pouvoir m’allumer une cigarette.

Je respire.

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