Notre ami Juan Carlos a enfin sorti sa trop rare plume pour nous faire partager son amour du chevesne !
« Et si je ne devais garder qu’un poisson à pêcher, un seul, je choisirais sans hésiter, le chevesne. En vérité, j’aime le chevesne, il n’y a pas pour moi de plus noble adversaire à leurrer à la mouche. D’abord, c’est un beau poisson, il est argenté avec de belles écailles. Et pour moi, un poisson c’est d’abord de belles écailles argentés, il porte ainsi la belle armure métallique des preux chevaliers de mes jeux d’enfance. Evidemment dès qu’on regarde de plus près on découvre mille et un reflet et nuances sur sa merveilleuse côte de maille, cette diversité des couleurs et des reflets, c’est celle que sait voir l’oeil poétique qui va au delà du commun et du banal. J’aime le chevesne car c’est un poisson abondant, c’est un poisson généreux, c’est un poisson populaire.
Contrairement aux salmonidés, il ne se raréfie pas, on en trouve en grand nombre dans de nombreux cours d’eau, on peut donc se focaliser uniquement sur les beaux specimens (plus de 45 ou plus de 50 ou encore bien plus selon les endroits), il atteint alors une taille parfaite pour les soies de 4 ou 5, c’est alors un adversaire méfiant et presque toujours difficile. Songez qu’un chevesne de 45 est un vieux poisson aguerri (il atteint 30 cm à cinq ans). Mais c’est aussi un poisson très opportuniste, on peut le pêcher avec toutes sorte de choses: petite nymphe, grosse sèche, streamer, imitations de fourmi, de sauterelle, de vairon. J’aime par dessus tout pêcher à vue et comme ce poisson aime plus que tout autre la surface, on peut le pêcher à vue même dans des eaux teintées, ce qui étend le champs de jeu de la pêche à vue presque à l’infini. Je peux déjà entendre certains se gausser et hausser les épaules. Peu me chaud, si le chevesne est autant dédaigné, c’est en grande partie par snobisme. « Historiquement », les pêcheurs ont méprisé le chevesne car sa chair n’est pas seulement fade, ses multiples arêtes le rende à peu près inconsommable. Même le viandard le plus endurci se lassera de lui craquer la nuque et n’aura pas l’idée de remplis son congélateur de filet de chevesne. A mes yeux, c’est bien-sûr une autre qualité de ce poisson. De nos jours sa prise est beaucoup moins prestigieuse que celle d’un gros salmonidé, ce qui se justifie en partie par la rareté des dits salmonidés, mais je ne suis pas de ces « happy few » qui habitent au près des rares rivières encore bien pourvue en belles truites ou en beaux ombres et je ne pense pas que le chevesne soit moins difficile ni moins combattif qu’une truite ou un ombre à conditions égales (condition égale d’éducation, condition égale de force du courant). En revanche, il est beaucoup plus souvent disponible, on peut encore le pêcher dans la canicule et dans le froid. Une autre qualité de ce brave poisson, c’est qu’il partage ses eaux avec de nombreuses autres espèces, ainsi on croisera peut-être des barbeaux, des perches des brochets, on pourra tenter à la nymphe des rotengles des tanches ou des carpes, c’est un poisson généreux et partageur. C’est d’ailleurs le seul reproche que je puisse lui faire: la saison à la mouche, même si elle est bien plus longue que celle des salmonidés, s’interrompt en hiver (du moins autour de chez moi). Je suis alors dépité, désolé, délaissé, comme remède à l’ennui qui me ronge, il ne me reste plus alors qu’à faire mes valises, partir bien loin d’ici et visiter son cousin tropical,le bonefish, tout autant bourré d’arêtes, couvert d’écailles et méprisé jusqu’à ce quelques aventuriers américains découvrent qu’il était tellement fun on the fly… Bon le cousin tropical vous fera voir plus souvent votre backing, mais au bout du compte ce n’est presque qu’un infime détail. »
Juan Carlos