Chester Himes " S'il braille, lâche le " (" If he hollers, let him go ").
Edition originale publiée en 1945, traduction française en 1948. Paris, Gallimard, 1985.
" Eenie, meenie, minie, moe
Catch a nigger by the toe
If he holler let him go "
Vieille comptine noire américaine
La photographie de Manhattan est l'oeuvre du Racé Juan Carlos HERNANDEZ. Toute utilisation de cette oeuvre sans l'autorisation de son auteur constitue une violation du Code de la propriété intellectuelle passible de sanctions civiles et pénales.
" Si les Blancs aux Etats Unis savaient ce qui passe dans la tête des Noirs lorsqu'ils les croisent dans la rue, ils seraient morts de peur " ( Miles Davis).
Voici comment Renée Vavasseur et Marcel Duhamel, le père de la Série Noire, présentaient " S'il braille, lâche le " de Chester Himes (1909-1984) lors de son édition dans la collection Du Monde Entier à la NRF, chez Gallimard en 1972:
" Il braille, ce nègre... Il est jeune, il est fort, il a une Buick Broadmaster, un bon emploi sur un chantier naval, une fiancée à peine noire que même des Blancs lui envient. Et pourtant il braille,il ne cesse de brailler. Tous les matins, il a des cauchemars angoissants où il se voit traqué, tourné en dérision. Dans la journée, il a l'impression d'être surveillé, cerné, emmuré. Alors il est insupportable, hargneux, il fait tout ce qu'il ne faudrait pas faire, il cherche la bagarre, la violence, il hurle, il est odieux. Il pourrait être bien tranquille, heureux même, si seulement il voulait rester à sa place, admettre la barrière, la barrière des nègres; bien des progrès sont permis vers la bourgeoisie, la bourgeoisie noire; il y a même des Blancs de bonne volonté. Mais lui se moque de la bonne volonté et de la réussite sociale. Tout ce qu'il veut c'est être reconnu comme un homme, un homme comme les autres, qui n'ait pas besoin, pour qu'on commence à le prendre au sérieux, de se conduire mieux que les autres ou de faire des choses exceptionnelles, un homme sous le soleil, tout simplement, débarassé de cette conscience de race, affolante, de cette chape de plomb du mépris. Mais " jamais un nègre n'a pu s'en sortir ": au premier incident qui l'oppose à une Blanche, on l'accuse de viol. Il n'échappe au lynchage que pour être envoyé à la guerre. C'était en 1943.
Les braillements de désespoir se sont amplifiés en cris de haine, puis en appel à la révolution et l'on se demande aujourd'hui comment les Blancs, à leur tour, vont s'en sortir. Que n'ont-ils entendus, il y a trente ans, des cris comme ceux de Chester Himes..."
A ces propos liminaires, j'ajoute que ce livre m'a tenu en haleine de la première à la dernière ligne, bien que ce ne soit pas un polar comme ceux qu'écrivit Chester Himes à la demande de Marcel Duhamel pour faire passer son message tout en captivant son public et en vendant ses livres.
Deux anecdotes sur la naissance du Be Bop pour vous resituer le contexte historique et social de l'époque, honorables lectrices, estimables lecteurs.
" L'origine du Be Bop? C'est le bruit de la matraque du flic blanc sur la tête de l'homme noir: Bop bop, rebop, bop, be bop " (Kenny Clarke)
Lorsque John Birks Gillespie fut convoqué à l'examen médical d'aptitude pour entrer dans l'US Army en 1942, il s'est présenté nu tenant sa trompette enveloppée dans du papier devant son entre jambes. Devant le médecin blanc sidéré, il déclara: " Ecoutez vous voulez m'envoyer faire la guerre en Europe contre les Allemands qui ne m'ont jamais rien fait. Qui me persécute depuis ma naissance aux Etats Unis d'Amérique? L'homme blanc. Si vous me confiez un fusil, le premier officier blanc américain qui me passe devant est un homme mort ". Le médecin déclara John Birks Gillespie fou (dizzy in american english) et exempté du service militaire. L'histoire complète se trouve dans l'autobiographie de Dizzy Gillespie " To Be or not to Bop ". C'est ainsi que de 1942 à 1945 Dizzy Gillespie resta aux Etats Unis d'Amérique à créer le Be Bop avec ses amis Thelonious Monk, Charlie Parker et Kenny Clarke.
Lorsque Bird et Diz rencontraient des présentateurs blancs à la télévision américaine en 1952, cela donnait ce film ci-dessous. Notez les attitudes, les regards, les mots, les gestes. Comme dit Bird " Music speaks louder than words ". Il n'empêche, alors que les Etats Unis d'Amérique viennent de réélire un président métis donc Noir, les mots de Chester Himes pèsent toujours aussi lourd et nous font saisir l'immensité du chemin parcouru en moins de 70 ans même s'il reste encore beaucoup à faire.
Assez causé, je vous laisse dans la " Hot House " avec Dizzy, Bird et Chester Himes.