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Le livre comme pont virtuel entre deux cultures

Publié le 01 avril 2008 par Vanessav
Si vous parlez à mon ami de vos belles lectures, il m’en fera une éloge et me proposera de lire le livre en question pour me faire un avis. Voici comment ma lecture d’Alice FERNEY a commencé. Aussi parce que le thème m’intéressait : bien sûr des livres, encore plus des lectures à haute voix et des minorités humaines (en tant que marginalisées).
D’abord extrêmement impatiente dans cette lecture de « Grâce et dénuement », je suis devenue plus hermétique par la suite. Esther, bibliothécaire, va venir chaque mercredi faire la lecture aux enfants des gitans. D’abord très en retrait, elle sera au fur et à mesure des mercredis et des saisons acceptée, tout en restant une « gadjé », non gitane. Tout se passe dans cet espace réduit, miséreux, entre une voiture, des caravanes et le plus souvent autour du feu de déchets tenu par la doyenne, Angeline. Au fur et à mesure, la vie de ces abandonnés se dévoilent. La condition des gitans, la misère, la dynamique des jours et des nuits, faits de tous petits riens, les rythmes de vie : naissance des fils, arrivée des belles-filles, naissances des petits enfants, expulsions, morts des uns et des autres. Il est aussi question des différences entre les hommes et les femmes et des liens importants qu’ils doivent garder pour tenir. Nous sommes loin de l’idée romantique des gitans et de leurs guitares et musiques au coin du feu.
Cette immersion au sein de ce peuple est un vrai bonheur. Entre les caravanes ou dedans, Alice FERNEY nous aide à mieux comprendre l’esprit des gitans, entre mutisme, orgueil, honneur et lien social détruit par rapport au reste de la société et source de cohésion au sein de la famille. « Il étaient des Gitans français qui n’avaient pas quitté le sol de ce pays depuis quatre cents ans. Mais ils ne possédaient pas les papiers qui d’ordinaire disent que l’on existe : un carnet de voyage signalait leur vie nomade. » Laissés pour compte, dénigrés, ils ont aussi leur manière de vivre en dehors des marges : le vol est préféré à la mendicité, l’oisiveté est une vraie démarche d’hommes au sein d’une société qui ne leur laisse aucune chance.
Ce principe d’une ouverture des mondes par les livres n’était pas pour me déplaire. Cette lecture à haute voix qui me parle tant : « Elle ne comptait que sur le pouvoir des livres pour les apprivoiser. » Bien sûr que cela ne pouvait que me toucher. Ce rapport aux lectures et aux livres, comme objet, est effectivement très bien retranscrit. « Ils entraient petit à petit dans la chose du papier, ce miracle, cet entre-deux. (…) et quand elle finissait, ils s’étiraient, revenant de l’autre monde, plus enveloppant, plus rond, plus chaud que celui dans lequel ils retournaient (…). »


*source coiffeur dans un camp gitan
Là où mon agacement a pris sa source fut dans la démarche pédagogique. Esther cherche à faire rentrer les enfants gitans à l’école avec bienveillance et humanité mais ce n’est qu’une démarche romantique et non fondatrice de changements. A quelques pages, une certaine forme de nivellement apparait, les remettre dans un chemin plus « normé » (c’est vrai que les bons sentiments ne manquent pas mais Esther ne laisse pas les gitans venir jusqu’à elle, jusqu’à son quotidien, c’est elle qui fait la démarche vers eux). Il y a dans ces pages une formidable envie d’ouverture, de compréhension mutuelle, je suis cependant restée un peu sur ma réserve. Ce livre permet de se sentir plus proche de ses maudits de la société mais aussi encore plus ignorante de leurs manières de vivre et de la façon de réconcilier les citadins des habitants de leurs dépotoirs. L’apprivoisement est toujours une forme de relation hiérarchisée cachée, en leur parlant de notre manière de penser, avec nos envies permanentes, c’est mesurer la distance entre eux et nous : ils n’ont pas d’élan vers l’avenir, pas de désir. « Esther crut être pour eux un mystère. Elle se trompait : elle était la gadjé et c’était une insulte. Elle n’était pas un objet sur lequel ils se seraient pris à penser. C’étaient les livres qui faisaient rêver la vieille. Elle n’en avait jamais eu. Mais elle savait, par intuition et par intelligence, que les livres étaient autre chose encore que du papier des mots et des histoires : une manière d’être. La vieille ne savait pas lire mais voulait ce signe dans sa caravane. » Superbe et pourtant c’est une manière d’être à nous et non leur philosophie de vie…paradoxe du bonheur et d’une envie de ne pas perdre de vue leur vérité. La description des gitans dans leur humanité est magnifique et mérite la lecture : « Elle était joyeuse, et plus que les autres, comme si, l’âge gagnant, elle avait fini par comprendre que la joie se fabrique au-dedans. »

Reste en plus ces superbes extraits sur les livres et sur leurs pouvoirs : « Quand ils avaient les livres pour eux seuls, ils ne les lisaient pas. Ils s’asseyaient, les tenaient sur leurs genoux, regardaient les images en tournant les pages délicatement. Ils touchaient. Palper doit être le geste quand on possède, car c’était ce qu’ils faisaient, palper, soupeser, retourner l’objet dans tous les sens. »
Et si, pour une fois, je me laissais aller à cet art, seul défenseur de la beauté humaine, allez oui : « Il y avait un secret au cœur des mots. Il suffisait de lire pour entendre et voir, et l’on avait que du papier entre les mains. Il y avait dans les mots des images et des bruits, la place de nos peurs et de quoi nourrir nos cœurs. »

Je vous laisse lire Magda qui a adoré ce livre d’une très belle façon (et pour une raison suffisante).


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