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Les philosophes et les cloches !

Publié le 17 novembre 2012 par Jacquesmercier @JacquesMercier

Dans son merveilleux livre « Étonnement philosophique – Une histoire de la philosophie »*1, Jeanne Hersch réorganise le développement de la philosophie en Occident à partir de l’étonnement. Je dois au conseil d’un libraire éclairé, Marc de Filigranes, l’achat de cet ouvrage et je l’en remercie encore ; il illustre le besoin que nous avons encore et toujours de ces lieux de rencontres, librairies, bibliothèques, etc. Ce guide lettré m’avait vu fureter dans les rayons des essais et je lui faisais part de ma demande des grands philosophes, qui ne m’avaient pas attiré à l’époque scolaire ou que je n’avais même pas compris, puisqu’au fond c’est la vie entière qui nous sert d’exemple et de terrain de recherche. Il me conseilla donc ce livre qui raconte cette histoire des présocratiques jusqu’à Jaspers.

A ce propos, il m’arrive de me demander si c’est encore utile à mon âge d’étudier, de continuer à lire, de noter dans un monde où le « lâcher-prise » semble la nouvelle règle. C’est Henri Laborit qui me donna récemment la réponse dans « La vie antérieure »*2 : « On a pu écrire qu’après trente-cinq ans, un homme ne fait plus aucune découverte importante. Je serais plutôt d’un avis contraire, du fait qu’un homme âgé possède une expérience plus grande, que les réussites et les échecs antérieurs ont pu modeler. » L’auteur poursuit en énumérant les conditions à réunir pour que cette découverte existe : que les premiers succès ne nous aient pas pervertis, qu’une ascension hiérarchique et honorifique ne nous ait pas fait perdre de temps, que la lecture nous ait mené vers des disciplines variées et enfin que nous soyons poussés par une motivation puissante à comprendre ce que nous n’avons pas encore compris. Et d’ajouter : « Il ne faut pas non plus qu’il essaie de projeter sur son environnement social l’image qu’il voudrait qu’on ait de lui, mais qu’il se contente d’être lui-même, sans se préoccuper de l’opinion louangeuse ou défavorable que les autres peuvent avoir à son égard. »

Au fond, tout le contraire de ce que propose la société en fin de carrière ? « La thérapeutique la plus efficace du vieillissement, c’est encore la distance qu’un individu peut prendre à l’égard des exigences variées, et surtout compétitives, que tente de lui imposer son environnement social » confirme Henri Laborit.

Cela dit, pour en revenir à Jeanne Hersch et à mes questionnements, je ne m’attarderai qu’un instant sur un chapitre, celui de la Renaissance, les XVe et XVIe siècles. La Renaissance prépare le monde moderne, mais le rapport entre le Moyen Âge et cette époque nouvelle est conçue par des contrastes et des continuités.

Un intéressant exemple de continuité a été avancé par le sociologue Lewis Mumford : selon lui, les cloches des monastères ont contribué à rendre possible et à préparer le monde moderne de la science et de la technique. Comment cela ? Les gens n’avaient pas de montre, les moines dans les champs ne connaissaient pas l’heure. On sonnait donc les cloches pour les réunir et ces cloches rythmèrent la vie quotidienne, non seulement celle des moines, mais celle de tous les habitants des villages alentour. Finalement, au son des cloches, les familles se livrèrent au même moment à des occupations analogues.

Aujourd’hui, poursuit Jeanne Hersch, on comprend l’énorme difficulté d’organiser le travail industriel, où le manque de coordination dans le temps est un des obstacles essentiels. «Lorsqu’on n’a pas l’habitude, dans une société donnée, de se réunir, pour l’exécution d’une tâche déterminée à une heure et un lieu donnés, rien ne va plus. Et aucune industrie n’aurait pu se développer si la population européenne n’avait pas au préalable soumis son rythme de vie commun à la sonnerie des cloches. »

Des dizaines de découvertes sautent aux yeux en lisant ainsi les philosophes. Ce sont des rappels, des pièces d’un puzzle qui se mettent en place, des fulgurances, des clés aux énigmes. Voici encore quelques extraits divers du livre : « Aristote comme Platon attache une grande importance à la purification de l’âme. Elle s’accomplit surtout, selon lui, par la poésie ».

Ailleurs : «Les stoïciens disent : celui qui désire ce qui ne dépend pas de lui est un esclave. »

Ou encore, à propos de saint Augustin : « Le mal est en quelque sorte le signe du caractère « créé » de la créature, qui, en tant que créée, ne peut avoir la plénitude divine. »

Je vous laisse tout en jetant un œil gourmand vers les livres qui m’attendent, avec un stylo pour les annoter!

*1(Folio, 1993)

*2(Grasset, 1989)

Les philosophes et les cloches !



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