L’une des pires illusions qu’entretient l’esprit humain ne serait-elle pas le conservatisme ?
Car si Dieu avait voulu l’univers stable, toujours égal à lui-même, aurait-il créé le temps, l’évolution, qui sont partout et touchent tout ?
De la dynamique d’expansion de l’Univers que nous dépeignent les physiciens et astronomes à l’évolution des espèces vivantes dont nous rendent compte les biologistes, la nature se plait, de toute évidence, dans le mouvement, dans le changement perpétuel.
Le désir de conservation est donc parfaitement anti-naturel. Mais, chez l’Homme, il est sans doute lié à l’angoisse de mort, à l’angoisse de la fin des choses.
Tuer une autre personne ou lui nuire gravement suppose une complète éclipse de l’entropie.
Voilà pourquoi les gens, lorsqu’ils agissent de la sorte, ont cette tendance marquée à nier l’humanité de celui qu’ils agressent ou tuent (prenons, par exemple, les cas de viol, ou le cas de la spoliation des Indiens d’Amérique ou des Aborigènes d’Australie, ou encore les cas de l’esclavage des Africains, de la colonisation, de la Shoah et des autres génocides). Car, n’est-ce pas, on ne peut pas agresser à un tel degré qui l’on reconnait pour son semblable. Et tuer –on le sait- cela signifie éliminer une conscience humaine, priver de la vie un être unique, irremplaçable, doué d’affectivité, de volonté et de raison. En soi, le comble de l’horreur.
Alors, pour commettre des actes tels que tuer, violenter, nier dans ses droits les plus élémentaires tout individu ou tout groupe, il faut soit avoir recours à l’emprise de drogues ou de conditionnements (comme en temps de guerre, ou en temps de dictature), soit être pris d’un accès passager d’impulsivité incontrôlable au cours duquel la force la plus primitive des pulsions balaie le contrôle de soi, l’affectivité et la capacité de réfléchir (dans les cas de colère énorme, avoisinant la rage, voire de démence), soit se trouver acculé à un réflexe de légitime défense, soit encore être purement et simplement atteint d’une maladie de l’empathie, ainsi que le sont les psychopathes et autres « pervers narcissiques ».
La misogynie, qui imprègne l’ensemble des sociétés humaines, n’est pas imputable aux seuls hommes et à la seule « solidarité masculine ». Elle est aussi, pour une assez importante part, la conséquence du côté « Toutamour » des femmes, de leur répugnance, sans doute originelle, à s’impliquer directement, frontalement dans les conflits. Selon ce que soupçonnent actuellement certains scientifiques (primatologues, éthologues, psychologues), la femme aurait en effet eu, dans les tout premiers groupements d’hominidés puis d’Hommes, un rôle de « pacificateur », de régulateur des tensions, de ciment social qui aurait été essentiel au maintien (vital, surtout à ces époques) de l’harmonie et de l’unité groupale. Son rôle de mère et son empathie beaucoup plus développée que celle du mâle la prédisposeraient à nouer des liens plus forts avec le sexe opposé, la rendant, de façon générale, nettement plus encline à l’indulgence envers les comportements (excès compris) de ce dernier que ne le sont les mâles.
C’est cette attitude souple qui aurait, avec le temps, la croissance du cerveau et l’évolution de l’anatomie humaine, favorisé la domination masculine sur les groupes.
Ce qui a sans doute sauvé nos lointains ancêtres (au départ si fragiles), c’est une cohésion et une interaction sociales étroites, qu’on rencontre déjà, du reste, chez nos proches parents primates (Bonobos et Chimpanzés). Les mâles devaient faire bloc, et les femelles, terriblement fragilisée par la station debout dans les cas de grossesse et d’accouchement, avaient tout intérêt à fortifier au maximum leur lien avec eux si elles voulaient obtenir une meilleure protection d’elles-mêmes et de leur progéniture, à la croissance de plus en plus longue. Peu à peu, d’autre part, a dû s’opérer une sélection sexuelle, par les mâles, des compagnes les plus « maternelles », les plus affectivement gratifiantes et, de ce fait, les moins agressives et les plus « passives ».
Les bases du rapport intersexuel proprement humain étaient jetées.
L’infini ne peut être que répétition obsédante de lui-même, que successions de niches emboîtées les unes dans les autres à la manière de poupées-gigognes.
Etant donné qu’il nait du manque, du vide, de l’absence (de), le désir est fils du désert.
Oui, tout est dit, mais ce n’est pas une raison pour ne pas le répéter ; on ne sait jamais, il y a toujours des oreilles qui trainent, et ne sont pas au courant.
Dans « mensonge », il y a le mot « songe ».
De plus en plus, les gens passent leur temps à « se protéger », à protéger leur petit monde, leur petite bulle, leur microscopique territoire.
Ils veillent jalousement sur leur parcelle de présence, de pouvoir, si mince, si insignifiante soit cette dernière.
Ainsi, tous azimuts, prolifèrent les tyranneaux, les roitelets, les « petits chefs ». A peine quelqu’un fonde-t-il et dirige-t-il une association qu’elle devient « la sienne », ad vitam aeternam. A peine un groupe se constitue-t-il qu’il se ferme au reste du monde et s’emmure dans ses petites habitudes (dont l’accueil ne fait pas partie).
Les gens, sur le qui-vive, vivent dans la crainte plus ou moins larvée de se voir « supplantés » par quelqu’un d’autre qui serait plus brillant, plus capable, plus dynamique ou encore même, plus charismatique. Ils redoutent qu’on « empiète » sur leur minuscule pré carré par-dessus tout.
La susceptibilité, peu à peu, vire à la paranoïa rampante.
Plus ça va, et plus, semble-t-il, la société moderne devient une société de cliques, de tribus…voire de sectes.
L’atomisation atteint non seulement les individus mais les groupes, qui deviennent de plus en plus « fusionnels » et qui, pour se maintenir, dépendent de façon croissante de la tyrannie des proximités affectives, des « loyautés » et des « fidélités » de type presque féodal.
C’est que l’autre est toujours, plus ou moins, potentiellement vécu comme un compétiteur masqué qui, à ce titre, est toujours à la merci d’une rupture de confiance.
Nous vivons dans un univers où l’égotisme parano est omniprésent, et le moins qu’on puisse dire est que cela ne facilite pas les rapports humains.
P. Laranco