Tu as les yeux plus gros que le ventre, me disait ma mère tandis que j’entassais dans mon assiette fortes louchées de hachis parmentier. Vincent Wahl, quant à lui, déclare que son estomac a été, durant sa jeunesse, l’otage de sa mère. Au point que tous les trois mois, il vomissait le matin pour observer une diète le reste de la journée. C’est par cette anecdote que commence son livre. Rassurez-vous, la suite est plus engageante. Un conseil, prenez soin de vous nourrir avant d’en entreprendre la lecture. Car ici, la langue ne quitte pas la cuisine et, à force de lire menus, recettes ou autre références gastronomiques, vous risqueriez de vous mettre en appétit. Œil ventriloque, le second livre de Vincent Wahl (après Communauté des parlants, Cylibris, 2002), constitue le premier volet d’une trilogie dont la nourriture demeure le plat principal. C’est en passant quotidiennement pendant 10 ans devant le restaurant l’Arpège où il lisait goulûment les menus d’Alain Passard que l’auteur a eu l’envie de ce voyage en langue savoureuse. Un voyage parsemé de menus, de « recettes à fredonner » – du bout de la langue, s’entend – d’extraits de textes se référant à la gastronomie, le tout illustrant une suite de poèmes biographiques. Dans sa composition singulière accumulant « placards » grisés où l’écriture apparaît en blanc, liserés de bas de page se superposant partiellement d’une page à l’autre pour une lecture en enfilade et corps du texte avec option « vers libres », le livre s’ordonne comme un menu à rallonge. Le parcours est jonché d’admirables trouvailles : les mots, avalés à notre insu / doivent s’accumuler quelque part / près la racine des canines / là d’où vient la douleur / de déchiqueter. (…) Et tous nous avons songé un jour ou l’autre à l’écureuil / qui fait ses provisions d’hiver / notant sur un bout de papier le lieu des caches / enfouissant le papier / notant l’endroit sur un carnet qu’il perd. La mère de Vincent Wahl l’avait tôt prévenu : les rêves dépendent de ce qu’on a mangé la veille. Œil ventriloque, jamais la proximité de l’œil avec le ventre, voire leur fusion, n’aura fait l’objet d’un livre de poésie. Mais cette approche originale de la langue – la langue à toute fin / achève d’envahir la bouche – a quelque chose de séduisant. Lecteurs, la table est mise. Ne regardez pas sans voir, savourez tous les mots de votre œil ventriloque.
contribution Alain Helissen
Vincent Wahl, Œil ventriloque, éditions Rhubarbe 4 rue Bercier 89000 Auxerre. site