Il était attendu et redouté : le rapport Gallois a été remis lundi 5 novembre au Premier Ministre Jean-Marc Ayrault. Le gouvernement a décidé de s’inspirer de certaines de ces 22 mesures pour améliorer la compétitivité de la France comme une hausse de la TVA ou l’allègement du coût du travail. Mais ce matraquage fiscal des ménages était-il inévitable ?
Il devenait impératif de travailler sur la compétitivité des industries. D’après le rapport de l’ancien président d’EADS, « la cote d’alerte est atteinte », l’industrie française atteint un « seuil critique ». Alors que l‘inflation a augmenté de 23%, le SMIC a lui bondi de 46%, augmentant considérablement le coût du travail en France. Les entreprises ont donc dû réduire massivement leurs marges, rendant beaucoup plus faibles les taux d’autofinancement et d’investissement. Face au constat indiscutable du déclin de l’industrie française – l’emploi industriel ne représente plus que 12,6% de l’emploi salarié total contre 26% en 1980, perdant ainsi plus de 2 millions d’emplois industriels en 30 ans – il était urgent de prendre des mesures. Le solde de la balance commerciale est passé d’un excédent de 3,5 milliards d’euros en 2002 à un déficit de 71,2 milliards d’euros (soit 3,5 points de PIB), en 2011 .
Haut fonctionnaire, Louis Gallois a été Président de la SNCF pendant dix ans avant de prendre les commandes d’EADS pendant six ans, jusqu’en 2012.
Le Commissaire à l’Investissement proposait donc dans son rapport 22 mesures : le maintien du « crédit impôt recherche » favorisant la détention et les transmissions d’entreprises, la contribution économique territoriale, les incitations « sociales » aux jeunes entreprises innovantes et les dispositifs en faveur de l’investissement dans les PME (IR PME et ISFPME) ; des représentants de salariés aux Conseils d’Administrations d’entreprise de plus de 5 000 salariés ; un Commissariat à la Prospective, lieu d’expertise et de dialogue social ; un transfert des charges sociales et la réduction de la dépense publique ; l’exploitation des gaz de schiste ; l’alignement des conditions de crédit et des garanties export sur le meilleur niveau constaté dans les pays avancés et la création d’un « prêteur direct » public ; la sanctuarisation de la recherche ; l’orientation de 2% des commandes publiques vers les PME ; la création au sein de la Banque Publique d’Investissement (BPI) d’un produit constitué d’actions de préférence sans droit de vote ; la création d’un « Small Business Act » comme cadre de cohérence des dispositifs en faveur de la croissance des PME ; le conditionnement des soutiens de l’État aux actions des grandes entreprises à leur capacité à y associer leurs fournisseurs et sous-traitants ; le renforcement de la gouvernance et les moyens des comités de filières de la CNI ; l’octroi aux Régions de la responsabilité de coordonner l’action des différentes structures régionales en charge de promouvoir l’innovation et le développement de l’industrie, ainsi que d’animer le dialogue social ; un rapprochement entre entreprises et enseignement ; doubler en cinq ans les formations en alternance ; mettre en place un compte individuel de formation ; l’obligation pour les Commissaires aux comptes de joindre à leur avis sur les comptes de l’entreprise, un rapport sur le crédit interentreprises ; l’allongement de l’assurance-vie ; donner plus de moyens à la BPI ; l’octroi au CGI de la mission de porter trois priorités techniques et industrielles : les technologies génériques, la santé et l’économie du vivant et la transition énergétique ; l’accompagnement de toutes les décisions européennes concernant la concurrence d’un avis public d’experts économiques et industriels extérieurs à la Commission ; autoriser les entreprises qui le souhaitent de faire présider le Comité d’Entreprise par un représentant des salariés.
Crédit d’impôt et augmentation de la TVA
Le gouvernement va dégager 30 milliards d’euros pour relancer la compétitivité des entreprises, 20 milliards en crédits d’impôts et 10 milliards en efforts supplémentaires de réduction de la dépense publique, a annoncé Matignon.
Crédit photo Eric Feferberg/AFP
Au lendemain de la remise de ce rapport, Jean-Marc Ayrault a dévoilé les mesures du gouvernement pour relancer la compétitivité de l’économie française. Parmi les mesures phares, le gouvernement va dégager 20 milliards d’euros pour relancer la compétitivité des entreprises sous la forme d’un crédit d’impôts qui sera financé pour moitié par des efforts supplémentaires sur la réduction des dépenses publiques, pour l’autre par une nouvelle fiscalité écologique et une réforme de la TVA. Dès janvier 2014, le taux normal sera relevé de 19,6% à 20% ; le taux intermédiaire de 7 à 10% ; le taux minimal sera lui ramené de 5,5% à 5%. Le crédit d’impôts grèvera le budget 2014 puisque les entreprises l’obtiendront cette année-là sur leur exercice 2013, et les économies budgétaires seront également réalisées en 2014 et 2015. Une baisse des cotisations sur les salaires de 1 Smic à 2,5 Smic doit également permettre l’allègement de 20 milliards d’euros du coût du travail sur trois ans. Cinq dispositifs fiscaux, dont le Crédit d’impôt recherche, seront « stabilisés » durant le quinquennat. De plus, un fonds de 500 millions d’euros pour les PME en difficultés devrait être créé quand le nombre d’apprentis devrait passer à 500 000. Les démarches administratives seront simplifiées pour les entreprises et une réforme bancaire passera en Conseil des Ministres le 10 décembre. Son but : exiger la transparence aux entreprises sur l’usage des marges financières qu’elles dégageront grâce au crédit d’impôt de 20 milliards d’euros qui leur sera accordé.
Un bien vaste plan dont quelques mesures semblent opposées au programme présenté par François Hollande lors de sa campagne. Résultat, la grogne monte. Pourtant, d’autres solutions auraient pu être envisagées pour éviter de ponctionner des ménages qui vont déjà voir plusieurs de leurs taxes augmenter dès 2013. Parmi les leviers qui auraient pu être actionnés sans passer par la fiscalité, Stéphane Grégoir, directeur du pôle de recherche en économie de l’École des hautes études commerciales du nord, EDHEC, pointe une dérégularisation du marché des services. « Beaucoup de secteurs sont trop réglementés. Du coup, la compétition sur ce marché des services n’est pas pleine et parfaite. Résultat, les services coûtent trop chers et pèsent dans les prix pratiqués par les industries. Si on dérégularisait un peu ce marché, les services coûteraient moins cher aux entreprises ».
Assouplir les contrats de travail
Arnaud Chéron, directeur de recherche associé, spécialiste de l’économie du travail à l’EDHEC.
Stéphane Grégoir, directeur pôle de recherche en Economie et directeur de la recherche à l’EDHEC
Alors que se séparer d’un salarié coûte à l’entreprise en moyenne un an de salaire, les économistes préconisent aussi d’ajuster les contrats de travail. « Tout ce qui entoure les séparations est internalisé par les entreprises et, plus encore aujourd’hui avec la conjoncture, une manière de favoriser la compétitivité est de repenser la législation pour réduire ces coûts de séparation » estime Arnaud Chéron, directeur de recherche associé à l’EDHEC. Une question actuellement en réflexion au gouvernement mais qui aurait également la faculté de favoriser l’insertion des jeunes. « Une protection trop importante favorise les outsiders, les personnes déjà en place, les retraités. Si les conditions de licenciement et les motivations en cas de recours aux Prud’hommes étaient allégées, les entreprises prendraient plus facilement le risque d’embaucher des jeunes » poursuit le spécialiste. En effet, en cas de procédure devant les Prud’hommes, le chef d’entreprise doit justifier que le licenciement du salarié était nécessaire pour la sauvegarde de la compétitivité de son entreprise et non seulement pour l’améliorer.
Au-delà des différentes solutions que le gouvernement auraient pu trouver sans toucher aux finances publiques, et donc sans devoir demander aux ménages de mettre une nouvelle fois la main à la poche, se pose la question du timing politique. Était ce le bon moment – économiquement c’est certain, mais politiquement ? – pour mettre en place un tel choc fiscal ? Stéphane Grégoir rappelle que les conditions macroéconomiques ne sont pas favorables aujourd’hui et que le timing politique n’est pas bon, contrairement à l’Allemagne qui a pris des décisions similaires mais dans un contexte économique autrement plus favorable.