Quel autre artiste qu'Abdullah Ibrahim pourrait revendiquer de si belle manière son appartenance à la
culture et au peuple sud-américain ? Reconnu sur ses terres et au-delà pour son sens inné à retranscrire les aspirations et les souffrances des habitants noirs de ce pays, ou encore pour cette
sensibilité extrême visant à se réapproprier une part de son histoire à travers des morceaux qui résonnent comme autant de moments vécus dans la conscience de ces habitants, toute son oeuvre
nourrit les esprits et les coeurs de ceux qui la découvre. Son talent d'orateur éclairé n'a pas d'égal dans la sphère jazzistique, de même que son style singulier et facilement reconnaissable est
unique en bien des points, à commencer par ces notes et ces saveurs parfaitement retranscrites de l'époque où il grandit à Cap Town. Et quel autre disque pour en parler de la meilleure des
manières que ce somptueux "African Marketplace", qui, tel un présage aux airs de dépaysements annoncés, s'inscrit comme l'un de ses tout meilleurs et marque les esprits.
« nous étions socialement déracinés, politiquement et économiquement opprimés et exploités, et si nous vivons dans une
ère post-coloniale, la plupart des gens sont nominalement libres, mais socialement et émotionnellement mutilés. La preuve est dans la désespérance qui ruine la vie des gens, malgré notre
libération politique présumée ».
Capable des plus belles variations de genres et de profondes interprétations basées essentiellement sur la transmission
orale ou chantée, Abdullah Ibrahim (né Adolph Johannes le 9 octobre 1934 et surnommé "Dollar Brand" durant ses études secondaires
en référence aux célèbres cigarettes), est un griot à part entière qui a appris le piano à 7 ans. Issu d'une famille de musiciens enrichie par le melting-pot musical de la ville portuaire, sa
singularité n'a pas d'égal dans le jazz. En 1962, il s'exile contraint et forcé d'Afrique Du Sud où il ne peut plus jouer librement et s'envole pour l'Europe avec sa femme
Sathima, une célèbre chanteuse originaire de Johannesburg. Ce sera d'abord Zurich et les premiers cachets dans des petites salles locales, puis Sathima, femme
amoureuse et pertinente qui connait bien les qualités de son homme et qui a l'oreille fine, finit par convaincre son ami Duke Ellington de venir un soir pour l'écouter jouer.
Plusieurs jours s'en suivront d'échanges sur le jazz et sur l'admiration du duc pour le jeu de Dollar Brand à qu'il ne manque pas de lui proposer d'enregistrer un disque. Ce sera chose faite 4
jours plus tard pour la firme "Reprise" depuis les studios Barclay de Paris. Désormais son nom s'inscrit aux côtés d'Ellington, de Shepp, d'Elvin Jones ou de Gato
Barbieri, et le pianiste jongle dorénavant constamment entre l'Europe et l'Amérique où il est très demandé.
Je ne reviendrai pas sur les 3 aspects distincts de sa musique dont vous pourrez trouver des renseignements tirés de sa
biographie, ici
ou là, car l'important, au-delà du parcours émotionnellement chargé de l'artiste et de l'admiration que l'on pourrait
lui porter (à juste titre), l'essentiel dans tout cela réside d'abord et avant tout dans sa musique. Aussi prenez place bien confortablement, allumez votre matériel hi-fi, et laissez-vous guider
par ces douces notes africaines veilles de 33 ans, mais néanmoins sans la moindre ride.
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