Par Eric Neuhoff Mis à jour le 13/11/2012 à 19:33 | publié le 13/11/2012 à 19:29
Lucas (Mads Mikkelsen), accusé d'abus sexuel par sa fille, se bat pour sa dignité. Crédits photo : Zentropa/TrustNordisk/Pretty Pictures/Zentropa/TrustNordisk/Pretty Pictures
Son rôle d'homme traqué, victime de la rumeur, a valu à Mads Mikkelsen le prix d'interprétation au Festival de Cannes.
Pas ça. Pas elle. Soudain, la fille de son meilleur ami l'accuse du pire. Elle a quatre ans. Dans La Chasse , l'innocence est blonde. Elle a une voix douce, un sourire en pâte de fruits. Qu'est-ce qui t'a pris, Klara? Tout ça parce que son frère aîné et un de ses copains lui ont montré une image pornographique sur l'ordinateur. Les adolescents, il n'y a pas plus bête, plus inconscient. Pauvre, terrible petite Klara. Tu sais bien que Lucas ne pouvait pas accepter ton cadeau en forme de cœur ouvragé. On t'a appris, hein, qu'on n'embrassait pas les adultes sur la bouche. Pourtant, à la garderie où travaille Lucas, les gamins l'adoraient. Il inventait des jeux, se bagarrait avec eux. C'était leur chouchou. Aujourd'hui, les gens se détournent. Il ne voit plus que des dos. Cela chuchote après son passage. Avec ses lèvres pincées, ses lunettes remboursées par la Sécurité sociale, la directrice déverse son venin. Comme s'il avait besoin de ça. Déjà qu'il avait du mal à se remettre de son divorce.
Au téléphone, son ex-femme lui fait des misères. Elle lui interdit de voir son fils. Lucas découvre peu à peu l'atroce situation. La rumeur est d'une affreuse monotonie. Les paroles ne servent à rien. Les habitants deviennent fous. Il n'arrive plus à habiter sa propre existence. Finies les baignades dans des étangs à moitié gelés. Adieu aux week-ends de chasse, aux grandes tablées où l'on trinque avec des cris de grenadiers, de grosses tapes sur les épaules. Ce sont des Vikings, des blonds solides, aux convictions carrées. Physiquement, Lucas change. Le sang lui bat aux tempes. On devine son cœur qui bondit dans sa poitrine, des coups de tam-tam dans la cage thoracique. Il ne reste pas assis cinq secondes, s'agite, tourne en rond, se heurte contre les murs. Un abîme s'ouvre sous chacun de ses pas. Même la gentille collègue avec laquelle il a une liaison semble se méfier. Banni, ostracisé.
Au supermarché, on refuse de le servir. Les vendeurs lui cassent la figure. On tue son chien. Des pavés traversent ses fenêtres. Son fils arrive à la rescousse. Bel exemple. Le garçon en prendra aussi pour son grade. Thomas Vinterberg ausculte un banal fait divers, décrit la dévastation d'une âme. Son film est un uppercut. La vérité déçoit souvent les humains. Dans les bois, on tire sur un cerf, mais c'est le héros qu'on veut abattre. Dans des lueurs d'automne, des parfums de mousse et de feuilles mortes, un homme meurt au ralenti. On le sent s'effondrer de l'intérieur, comme une banquise. La scène de l'église, durant la messe de minuit, saisit. Mads Mikkelsen, traqué, hagard, illustre la formule d'Henri Calet: «Ne me secouez pas, je suis plein de larmes.» La gamine à l'origine du drame est extraordinaire. On se demande si on doit l'étrangler ou la serrer dans ses bras. Dis, Klara, est-ce que tu continues à éviter les traits dessinés sur le trottoir?