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L’ère post-parental : billet d’humeur à partir d’une scène de bus

Publié le 14 novembre 2012 par Tchekfou @Vivien_hoch

L’anecdote dont je souhaite rendre compte pourrait paraître d’une effarante banalité. C’est précisément son caractère ordinaire qui donne à penser. Une scène de bus, vécue dans l’ordre de la plus plate quotidienneté, et que je souhaite inscrire dans la forme d’une réflexion que nous appelons de nos voeux, moi et Vivien Hoch, comme une phénoménologie du vécu ordinaire (l’écrivain Richard Millet a déjà amorcé cette forme de phénoménologie, qu’il revendique comme telle au profit de la littérature, cf. l’article que je lui ai consacré).

L’ère post-parental : billet d’humeur à partir d’une scène de bus

Je suis donc assis dans le bus au cours d’une trajectoire habituelle. Un père de famille monte avec ses deux jeunes enfants, une fillette et un garçonnet qui, à eux deux, ne dépassent pas douze années. Le père s’assied avec son fils sur ses genoux à ma droite, la fillette s’assied en face de moi sur une place perpendiculaire. Je ne suis pas tout à fait indifférent et ma première réaction ressemble à un vague attendrissement ; j’éprouve en général une certaine tendresse envers les famille et leurs enfants. Le père est un bourgeois des centre-villes pur jus (un bobo) : chapeau en feutre de laine, blazer cintré, jean semi-moulant, chaussures de ville.

On s’attendrait à une « bonne famille », et sans doute est-ce le cas dans une certaine mesure. Mais voilà que, le bus redémarrant, ce père et ses enfants oublient tout à fait mon existence et finissent par transformer mon trajet en véritable calvaire. D’abord, ce sont des effusions en touts genres : câlins, bisous, marques d’affection intime. Je ne voudrais pas passer pour un râleur et pour un misanthrope impénitent (il semble que cette réputation me suit pourtant déjà largement auprès de ceux qui me côtoient au quotidien), mais ces démonstrations d’intimité à quelques centimètres me sont assez pesantes. Je ne sais plus où me mettre. Ensuite, vient le temps des jeux… d’interminables jeux. L’entente familiale est au beau fixe, on peut s’en réjouir, mais subir des « je te tiens tu me tiens par la barbichette » pendant vingt minutes de trajet, c’est un supplice (toutes proportions gardées). Les enfants ne hurlent pas démesurément mais font suffisamment de bruit pour que l’ensemble des passagers participe sans l’avoir voulu à ces joyeux ébats.

Que fait le père ? Rien. Il prend part aux jeux, proteste parfois sans conviction et laisse globalement ses enfants tout à fait libres de s’épancher à leur guise. Ce « chef de famille » donne l’impression d’une profonde mollesse : sa voix est faible, son attitude suinte le laxisme et la permissivité. Est-ce ainsi qu’un père est censé représenter l’autorité ? Subsiste-t-il encore une différence entre les rôles du père et de la mère dans ces conditions ? Je comprends bien que ce Monsieur soit plein d’amour envers ses progénitures, et c’est tant mieux, mais ce n’est pas une raison pour abandonner l’exigence du travail éducatif quant à l’apprentissage de la vie en société. Dans cette scène se lit quelque chose de l’ordre d’un intolérable individualisme. Je n’irai pas jusqu’à qualifier le père d’irresponsable, les faits ne sont pas suffisamment graves et peut-être exceptionnels. Surtout, juger cet homme ne m’intéresse ni n’est en mon pouvoir. Je cherche simplement à faire saillir le caractère exemplaire d’un comportement typique de notre époque, où certains parents n’assument la parentalité qu’à titre minimal, comme si nous étions entrés dans l’ère d’après les familles, d’après les parents : l’ère de la post-parentalité.

Or, tout converge : destructuration des familles (divorces, monoparentalité, familles recomposées), ouverture bientôt effective de l’adoption aux couples homosexuels (comme s’il était parfaitement indifférent d’être élevé par un homme et une femme, deux hommes ou deux femmes), individualisme typique des centre-villes et règne de l’enfant-roi. Travaillant depuis deux ans au contact des élèves de collèges parisiens, je constate chaque jour les dégâts causés par ce type de non-éducation. Ce ne sont plus seulement les enfants qu’il convient d’éduquer, mais prioritairement leurs parents. Il faut repenser la question de la famille et de l’éducation en Occident et, dans le même temps, déconstruire urgemment les délires de l’utopie pédagogique qui conduisirent à cette dérive (cf. mon article sur l’utopie pédagogique).


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