« Cette hantise de la mort, chez les nations de l'Amérique moyenne, avait atteint un degré extrême, et c'est sans doute pourquoi elles furent tenues par les Conquérants venus d'Espagne pour des civilisations vouées au malheur et au désespoir - et sans doute pourquoi aussi elles furent aisément conduites à leur fin. Mayas, Toltèques, Tarasques, Aztèques vivaient dans l'attente pessimiste d'une catastrophe. Les Prophéties du Chilam Balam, les pronostics des prêtres, les légendes et les récits mythiques, tout proclamait la proximité de la mort. Les peuples indiens ont vécu les grands thèmes de la philosophie avec une acuité qu'aucune civilisation de l'ancien monde n'a jamais connue. Pour eux, la vie n'est qu'un bref passage, et le néant emporte le monde. C'est que ces thèmes, pour les Indiens, n'étaient pas seulement des idées philosophiques, mais aussi une religion qui donnait son sens à chaque moment de l'existence. Totalement à la merci des dieux, les hommes mortels vivaient avec une ferveur sombre en vue de l'instant suprême où ils seraient unis avec leurs ancêtres ,dans l'au dela intemporel
Les dieux, les mythes sont derrière chaque événement. Sur le Mexique règnent une ferveur, une splendeur mystique inconnues de l'Occident. Comme sur les civilisations mayas ou toltêques, plane l'ombre de la fatalité. Mais en contrepartie, il y a l'exaltation, l'ivresse, le partage. Les dieux indiens ne sont pas inaccessibles. Ils ne sont pas indifférents. Ils sont très proches, ils sont liés à la terre et aux êtres vivants par un pacte de sang. Ils se nourrissent d'offrandes, de fumée, du corps et du cœur des victimes. Tout ce qui est vivant leur plaît, tout leur est dû. La prière est avant tout un échange que l'homme fait avec l'au-delà, par lequel il cherche à apaiser les dieux et à détourner de lui le malheur. Comme Sahagun le rapporte, non sans raillerie, l'Indien, si son vœu n'est pas exaucé, n'hésite pas à adresser des reproches aux dieux, à les insulter.J.M.LE CLEZIO. LE REVE MEXICAIN.FOLIO
Le premier soin des conquérants espagnol fut de détruire les religions indiennes et de convertir les Indiens au christianisme. La nouvelle religion, d'abord subie par les indigènes, fut ensuite acceptée volontairement, surtout dans les régions à forte densité de population du Mexique central, où la conquête spirituelle eut lieu très tôt et de manière intensive. Elle se fit avec plus de difficulté en pays maya, dans les lointaines montagnes du Centre, dans les steppes du Nord. Quelques groupes échappèrent à la conversion, d'autres furent à peine touchés. Les Indiens christianisés, c'est-à-dire la grande majorité, n'adoptèrent pas la nouvelle religion sans la modifier plus ou moins, l'adaptant à leur manière de penser. On peut ainsi citer le syncrétisme des Chorti du Guatemala.L'église est le centre de la vie religieuse, bien qu'il n'y ait pas de prêtre résidant dans le village. Le plus important des padrinos, spécialistes religieux âgés et respectés, est chargé de faire venir la pluie à la fin du mois d'avril. Les padrinos sont censés avoir reçu la permission, à la fois de Dieu et des divinités païennes, de célébrer toutes les cérémonies en rapport avec l'agriculture et les rites de transition. Dieu est placé au sommet d'un panthéon qui comprend de très nombreux êtres surnaturels, parmi lesquels figurent Chiccham, serpent à la fois unique et innombrable, Ah Q'in, dieu du soleil, de la connaissance et des pouvoirs magiques, les saints patrons des villages et des familles, souvent associés aux divinités païennes. La représentation des dieux païens ayant disparu depuis longtemps, les saints sont les seules divinités qui existent sous une forme matérielle.
Aujourd'hui, il n'existe donc pas une seule religion dans cette zone, mais plusieurs formes de vie religieuse : catholicisme, catholicisme teinté de paganisme, catholicisme sans polythéisme mais transformé, polythéisme. Quel que soit leur univers religieux, tous les Indiens sont extrêmement pieux et observent avec ferveur leur religion.
Les Indiens polythéistes restent une infime minorité. Parmi eux, les lacandons, d' il y a une trentaine d'années, lorsqu'ils pratiquaient encore leur culte, d'où une riche mythologie orale, à préserver.
Chez les Lacandons, la société est donc tellement réduite et morcelée qu'un individu peut agir sur la religion : il peut l'appauvrir ; il peut aussi la transformer et l'enrichir
Archaïques ou décadents, ou peut-être les deux à la fois, les Lacandons sont des paysans maya. Leur religion est celle d'une population rurale maya. Elle est relativement simple et ne comporte pas de classe sacerdotale. Ses caractères généraux sont propres à toute l'aire maya. On en retrouve tel ou tel trait dans tel ou tel groupe et à telle ou telle époque. C'est sur ce fond idéologique commun au monde maya que s'est élaborée la grande religion maya classique, infiniment complexe, au sein des hautes civilisations du Chiapas, du Yucatan et du Guatemala, en même temps que ces civilisations atteignaient leur apogée.". GEORGETTE SOUSTELLEObservations sur la religion des Lacandons du Mexique méridional.Persée.
"Dans ce caribal du Sud, dont les habitants sont venus, si j'en crois le vieux chef, des jungles du Guatemala, le culte du Soleil et celui de la Forêt dominent toute la religion. Chez les autres Lacandons, une multitude de divinités occupent à la fois les trois cieux superposés, les encensoirs qui les représentent dans les temples, et certains lieux déterminés.
Kanank'ash, par exemple, « protecteur de la forêt », réside dans une falaise que j'ai pu entrevoir quelques instants, perdue dans la jungle qui sépare le fleuve Chocoljâ de la rivière de La Arena ; toute la forêt, autour de cette falaise, lui appartient, et mon guide lacandon m'interdit de couper ou de briser le moindre branchage. Itsanohk'ou, « le grand dieu Itsana », où l'on peut reconnaître, je crois, l'Itzamna des Maya classiques, habite lui aussi dans une falaise qui domine le lac Peljâ. Les Indiens qui vivent au bord de cette lagune l'appellent d'ailleurs « le lac d'Itsa-nohk'ou ». La haute muraille calcaire est marquée de pétroglyphes analogues à ceux du lac Metsaboc, d'empreintes de mains ouvertes, et d'un dessin représentant un serpent à plumes dont la facture, nettement différente de celle des pétroglyphes, s'apparente à l'art maya ancien. Enfin d'autres dieux hantent les ruines de Yaxchilân, la grande cité maya qui brilla de son plus vif éclat au vu" siècle sur la rive gauche de l'Usumacinta." JACQUES SOUSTELLE. LES QUATRE SOLEILS.TERRE HUMAINE.
Selon la cosmologie des indiens, Il y a plusieurs mondes et plusieurs cieux hiérarchiquement superposés, un nombre variable selon les groupes Lacandons (de trois à cinq). dans chacun il y a un soleil et au dessus du dernier une nuit éternelle . Il y a des dieux dans chacun des cieux. Les dieux qui vivent dans le premier ciel sont soumis aux dieux du deuxième ciel qui, à leur tour, dépendent des dieux du troisième ciel. Tous ces dieux ont à leur service des gens de race blanche,(gente) c'est-à-dire semblables à nous.
Dans CONTES ET MYTHOLOGIE DES INDIENS LACANDONS, l'anthropologue belge DIIDIER BOREMANSE, s'est efforcé de recueillir toute la tradition orole des Lacandons,avant la disparition complète de leur culte : il rapporte le mythe d'origine ci-dessous :
Ka'koch créa la tubéreuse), pour avoir des adorateurs. On ne sait comment il les fit. Il les créa, les transforma dans la tubéreuse. Il les créa tout d'un coup. D'abord, il créa Sukunkyum, le Frère Aîné de Notre Père; ensuite Ah Kyantho ; enfin il fit le puîné, Hach Ak Yum, Notre Vrai Père). On raconte qu'une fois écloses les fleurs de la tubéreuse, ils naquirent. Ils n'eurent point de mère. Ils naquirent des fleurs de la tubéreuse, ce fut leur mère. Elle avait beaucoup de fleurs. Celles-ci s'ouvrirent, et ils en sortirent. D'abord les trois frères ne virent que la tubéreuse ; il n'y avait point de forêt. Sukunkyum vit que la terre n'était pas vraiment bien faite, et il ne dit rien. Ah Kyantho non plus ne dit rien ; mais il vit que ce n'était pas bon. Ils ne descendirent pas de la tubéreuse. Hach Ak Yum sortit de la fleur et il posa son pied sur le sol. Il marcha et dit :
— Ah ! pourquoi la terre n'est-elle pas dure ? Ce n'est pas bien ! La terre était bourbeuse, on s'y enfonçait. C'était comme un grand marécage.
— Je ne m'y habituerai point ! dit Notre Vrai Père. Comment ferai-je ?
Il prit du sable et le jeta sur la terre ; il l'y répandit. Elle devint sablonneuse ; il y eut des pierres. Notre Vrai Père attendit.
— Ai-je bien fait de jeter le sable ? Nous allons voir... se dit-il. La terre devint dure partout. Il l'examina en marchant, et dit à ses frères
:
— Fort bien, Seigneurs ! Maintenant, c'est de la terre ! Elle est très dure !
Cinq jours après naquirent les autres dieux, les assistants (8) de Notre Père : Itzana ; Sak Ah Pouk ; K'ulel, le balayeur ; K'ayoum, le Seigneur du chant ; Bor, l'échanson ; K'in, le joueur de flûte. Tous naquirent de la tubéreuse, mais on ne sait pas quel était leur lignage (9). Hach Ak Yum et ses frères sont du lignage « Singe-araignée ». D'une autre tubercule naquirent les dieux du lignage « Pécari » qui vivent ici, dans la forêt (10) : Mensabâk, le faiseur de suie ; Ts'ibatnah, qui peint les maisons ; Itzanohk'uh, le faiseur de grêle ; et Kanank'ax, le gardien de la forêt ; ainsi que K'ak, le dieu de la chasse et du courage, qui est du lignage « Chevreuil ». Ensuite naquirent les dieux mineurs. Ils sont très nombreux. Il n'y a personne qui les connaisse tous.
Dix jours plus tard naquirent de la tubéreuse les épouses de Hach a]j; Yum, Sukunkyum et Ah Kyantho.
Auparavant, Ka'koch avait créé le maïs pour Notre Vrai Père, et celui-ci montra à son épouse comment préparer des galettes et de la bouillie. Il fabriqua la pierre à broyer le maïs et lui enseigna à moudre les grains pour faire la pâte. Ensuite, Notre Mère fit les galettes de maïs sur une feuille de bananier et les cuisit sur le cornai (11). Après avoir fait les tortillas, elle apprit à préparer la bouillie de maïs (
Hach Ak Yum vivait à Palenque. Il avait fini de refaire la terre, et il songeait. Il avait réarrangé la terre, créé les arbres et la forêt. La terre était bonne. Notre Vrai Père était assis, et pensait. Puis il créa Kisin. Il le créa, et lui donna son nom : « Kisin » Il le créa dans la fleur « écume de nuit » ). C'est la fleur d'un arbre. Elle éclot durant la nuit et son parfum est délicieux. C'est la « tubéreuse » de Kisin, car c'est là qu'il naquit.
Hach Ak Yum prit de la terre et du bois pourri, et il les mit dans la fleur « écume de nuit », et Kisin en sortit à la tombée de la nuit. Ainsi naquit Kisin, et sa femme naquit en même temps que lui. «
Les lacandons pratiquaient le totémisme et l'exogamie. il existait pour se différencier dix noms d'animaux totems et deux noms de phratries (groupes différents qui permettent le mariage exogame): Karsiya et Kobo. Un système d'identification qui a pratiquement disparu sauf dans les groupes du nord ouest ou qui se réduit à un ou deux totems . Alors que la notion de clans totémiques est limitée aux hommes et aux animaux, l'on retrouve celle de phratries pour le monde surnaturel .
Dans tout le Nord-Ouest, le monde souterrain est régi par un dieu bon Hachâkyum; par un dieu mauvais : Kisin. Le premier, accompagne le soleil dans son voyage nocturne. C'est lui le grand dieu bienveillant du monde souterrain, puisqu'il soutient les poteaux sur lesquels la terre est appuyée lorsqu'il y a un tremblement de terre, lequel est l'oeuvre du dieu mauvais, Kisin,le seigneur de la mort et de la putréfaction. Le mythe d'origine raconté ci-dessus évoque son nom dont l'étymologie reflète sa nature ambigüe : elle évoque « quelque chose qui pue »,l'odeur de la putréfaction ;une autre origine traduit celui par « qui cause la mort ».
Dans la mythologie Kinsin finit par vouloir tuer Hach Ah Kun,,devenu vieux lequel lui échappa en trouvant ou non de l'aide auprès des hommes( en récompense ou en punition le maïs deviendra beau ou la terre stérile). Il finit par se fabriquer un double trompeur que Kinsin tua. Ce mythe est rapporté par Didier Boremanse :
Cependant Hach Ak Yum avait fini de créer le Monde Souterrain. Alors il fit éclater la terre (Celle-ci se crevassa, s'ouvrit, et Kinsin s' y engouffra avec tout ce qui lui appartenait. Le sol se déroba sous ses pieds, il tomba, et la terre se referma au-dessus de lui. C'est ainsi Hach Ak Yum fit un sentier qui mène de la terre au Monde Souterrain (c'est par là qu'il en sortit), mais Kisin ne le connaît point. Lorsque Kisin se fâche, il donne des coups de pied sur les piliers qui soutiennent la poutre transversale sur laquelle repose la terre, afin qu'elle s'effondre. La terre tremble, mais ne s'affaisse pas. Le Frère Aîné de Notre Père ne le permet pas. Kisin remue et la terre vibre, mais c'est seulement pour nous effrayer, car elle ne s'écroule pas vraiment.
Après avoir envoyé Kisin sous la terre, Hach Ak Yum était content. Alors il s'en alla au ciel pour créer le firmament. Ka'Koch le dieu de Notre Père, avait déjà fait un ciel ; Hach Ak Yum en fit un autre. Il fit un ciel plus proche de la terre, celui de Ka'Koch est plus haut. Sous le ciel de Ka'Koch, Hach Ak Yum accrocha le ciel de I T'oub, et en dessous, il fit le sien
I
— Allons-nous-en, désormais nos créatures resteront sur terre. !
C'est pourquoi les Vrais Hommes se trouvent ici, sur la terre. »
Ka'Koch n'est pas bon. Chaque année, il voilait le soleil et causait ainsi la fin du monde L'humanité mourait de froid.
— Mes pauvres créatures ! disait Hach Ak Yum, elles ne sont guère nombreuses et Ka'Koch n'arrête pas de les détruire. Les jaguars dévorent sans cesse les terriens ; si je n'interviens pas, Ka'Koch les aura bientôt exterminés.
Hach Ak Yum parla à l'encensoir de Ka'Koch en vain. Voyant que ses efforts étaient inutiles, il monta voir son dieu et lui dit :
Ka'Koch avait couvert le soleil d'un voile noir.
__ Enlève-le ! lui dit Hach Ak Yum.
Ka'Koch ôta le voile, et le soleil reparut.
__Bien, dit Hach Ak Yum, ne cache point son visage.
Mais Ka'Koch continua de détruire le monde et les hommes en causant des éclipses. Alors, un jour, Hach Ak Yum déclara :
— Oh ! ce sont mes créatures, après tout. Moi, je vais créer un soleil pour qu'il éclaire les terriens. Et je n'ordonnerai point la fin du monde
Notre Vrai Père fit alors celui-qui-nous-chauffe, et il le plaça au milieu du firmament. Ce nouveau soleil, il le donna à T'oub. T'oub est le gardien du soleil, car il n'a point d'épouse. Quand son père lui en donnera l'ordre, il couvrira d'un voile le visage du soleil, et causera ainsi la fin du monde.
Le nom du soleil est K'in, et son épouse est Notre Mère, la lune (28). K'in est un Blanc qui a une boule de feu sur la tête. Lui et Ah Kyantho sont les seuls dieux qui soient blancs, mais K'in, lui, porte une tunique que lui tissa son épouse.
Hach Ak Yum créa aussi les choses-du-ciel) : les étoiles. Il vit que, lorsque Notre Mère était absente, la terre était très obscure. Aussi créa-t-il les choses-du-ciel. Il fit les étoiles avec du sable de pierres. D'abord il les sema, et dit :
— Ah ! les racines que j'ai semées seront des racines d'arbres. Toutes les racines des choses-du-ciel sont des racines d'arbres.
Les étoiles que nous voyons sont les racines des arbres que Notre Vrai Père a plantés dans la forêt du firmament. Lorsqu'un de ces arbres tombe, il cause la chute d'une étoile dans le ciel). Après qu'il eut créé les étoiles, il y eut de la clarté dans la nuit. Il ne faisait plus aussi obscur.
•— C'est très bien, dit Hach Ak Yum, leur clarté n'égale pas celle de la lune, elle éclaire juste à la tombée de la nuit. C'est parfait. ».
A suivre