1 - Déjà-vu Président
A l’Elysée-village, normalité rime avec banalité. Deux heures de phrases creuses, de propos convenus et de poncifs : il y a peu de chance pour que la conférence donnée sous les ors de l’Elysée permette à Hollande de reconquérir l’opinion. Comment ressembler le plus possible à l’image canonique du chef de l’Etat telle qu’on l’imagine à Sciences-Po ? Hollande a dû rester fidèle à un fantasme de jeunesse et croit détenir la solution : il cherche à retrouver le timbre de Mitterrand agrémenté de quelques mimiques sarkoziennes. Appel rhétorique et morne aux «forces vives de la Nation», « à la nécessité de ne pas brutaliser le pays», «au calme du chef par temps difficile» : notre leader crie au feu en baillant. Ne reste, mes frères, qu’à prier pour que la reprise mondiale vienne nous sauver. Culbuto attend Godot.
2 - Hollande et Ayrault, courageux puisque traîtres ?
C’est ce qu’on peut déduire de l’offensive de communication orchestrée la semaine dernière par Matignon et relayée par les médias qui lui veulent du bien, en gros tout le service public audiovisuel et la moitié de la presse écrite. Pour cette dernière, un sommet a été atteint par l’interview de Moscovici par un journaliste du Nouvel Obs.
Question du Nouvel Obs : «Avez vous fait comme la droite en augmentant la TVA ?»
Réponse moscovicienne : «Non. Ce que nous faisons n'a rien à voir avec la TVA de Nicolas Sarkozy. La preuve c'est que nous l'avons supprimée ». Fermez le ban ! Ce n’est plus la TVA Sarkozy puisque c’est la TVA Hollande. Et surtout pas de relance embarrassante dudit «journaliste» ...
L’idée qui sera désormais martelée est la suivante : le gouvernement fait preuve de courage en s’inspirant sinon des mesures, du moins des principes du rapport Gallois. Il dit la vérité aux Français et tente de réduire le coût du travail, handicap principal de notre économie. On doit logiquement en déduire que, tant durant la campagne que dans les six premiers mois d’exercice de leurs nouvelles responsabilités, Hollande et Ayrault ont menti ou n’avaient rien compris à la situation de la France. Bref, c’est faire preuve de courage que de trahir ses promesses et de discernement que d’avouer ses erreurs d’analyse. Le reniement est l’aboutissement de la duplicité. C’est confirmé : Hollande s’inscrit bien dans la continuité de Mitterrand.
3 - Nicolas Sarkozy a-t-il été réélu le 6 mai 2012 ?
On pourrait le penser en égrenant les retournements de la veste «hollandaise» : pas de renégociation réelle du pacte de stabilité européen, hausse de la TVA pour financer la baisse des charges sociales, délogements et expulsions de Roms à tire-larigot, réduction du nombre d’emplois publics hors éducation nationale, réduction des dépenses culturelles, enterrement de troisième classe pour le vote des étrangers, etc.
Qu’est-ce qui différencie alors un Hollande renégat d’un Sarkozy réélu ? Quelques mesures homophiles en forme de pièges tendus à la droite, l’annonce de recrutements de professeurs qui ne seront sans doute que peu suivis d’effets, un tour de vis sur l’ISF et l’imposition des plus-values et un taux d’imposition à 75 % qui s’auto-détruira dans deux ans si le Conseil constitutionnel ne le sabre pas avant. En guise d’alternance décennale, c’est peu.
En réalité, Hollande avait raison, ce qui le sépare de Sarkozy, c’est avant tout le style. Il s’en vante : il va, normalement mais sûrement, épuiser ses adversaires plutôt que tenter de les prendre de vitesse. « Ils se lasseront de me critiquer avant que je me lasse de leurs critiques ... » a-t-il dit.
Hollande pense que ses opposants sont avant tout des hommes politiques et des gens de médias ; qu’ils s’énerveront, au sens propre du terme, n’ayant aucune prise sur son personnage rond et lisse. C’est une erreur d’analyse qui tient à son passé d’apparatchik. En réalité, ce qui le menace c’est précisément LA réalité, le spectacle sans cesse renouvelé d’entreprises petites et moyennes qui mettront la clé sous la porte, laminées par la crise et la pression fiscale même corrigée par le pseudo plan de compétitivité.
On l’a oublié trop vite mais le plus étonnant du programme sarkozyste des dernières élections était l’ultimatum lancé à l’Union européenne pour renégocier les relations commerciales avec nos partenaires de l’OMC et revoir le traité de Schengen. Il y avait certes de la démagogie dans cette annonce, mais l’ancien président mettait une pression sur l’Europe plus grande que celle que Hollande veut exercer. Sarkozy savait à quel point la situation économique était dégradée et qu’il importait de ne pas se mettre dans la main des Allemands sans choisir un angle d’attaque favorable.
Rectifions donc notre titre : et si c’était Angela Merkel qui avait été élue Présidente de la République française le 6 mai 2012 ?
4 - Jospin le Bide et Gallois le Buzz
La remise du rapport de la commission Jospin sur la réforme des institutions a fait un bide, surtout si on la compare au buzz Gallois.
C’est qu’en réalité le «grand frisé» n’a fait que reprendre ce qu’Hollande proposait dans son programme. Six mois et quelques dépenses plus tard, nous voilà donc face à au projet de réforme qui doit délivrer la France du mal horrible qu’on nomme cumul des mandats.
Nous aurons sans doute d’autres occasions d’y revenir plus complètement mais disons d’ores et déjà que cette machine infernale n’est pas posée sous la bonne cible. Ce qui fait souffrir la France, ce n’est pas le cumul des mandats mais l’existence d’une classe trop nombreuse d’élus professionnels. Son caractère pléthorique est un facteur de faiblesse, surtout quand il s’agit d’engager des réformes.
Or, les propositions Jospin ne vont aboutir qu’à dédoubler systématiquement les fonctions de parlementaire et de «grand élu local». Ils seront au moins aussi nombreux, encore plus précaires financièrement et donc plus fragiles face aux lobbies. Aucune mesure n’est prévue pour dégraisser le Mammouth politicien. Une réforme ratée de plus.
5 - Les bobos, c’est comme les cochons, plus ça devient vieux plus ça devient ...
Petite anecdote significative tirée de la vie quotidienne à Paris. Déambulant, le soir venu, du côté du Boulevard Malesherbes, aux bras de ma «bourgeoise» comme disait le peuple autrefois, nous nous vîmes apostrophés par - disons - des jeunes venus de banlieue et s’alcoolisant lentement, aux cris de « Hé les bobos, on vous jette un sort ! ». Rassurez-vous, c’était plutôt bon enfant.
C’est alors que je réalisai que cette saine jeunesse ignore désormais le terme de bourgeois, cannibalisé en quelque sorte par celui de bobo. Ces nouvelles forces vives de la Nation n’ont pas tort : à Paris, le bourgeois dépérit, victime d’une substitution ethnique comme l’ouvrier français a été peu à peu remplacé par l’immigré logé en HLM. Le bourgeois est mort, vive le bobo.
Mais a-t-on pris la peine de s’interroger vraiment sur cette notion venue d’Outre-Atlantique ? Quand on analyse la politique de Monsieur Delanoë, on la comprend mieux. Il ne faut pas confondre la gauche bobo et la gauche caviar. Il s’agit souvent de rejetons de bourgeois, en voie insidieuse de prolétarisation mais que la pratique municipale maintient dans un sentiment de «privilégiature». Pour peu qu’ils soient propriétaires de leur logement ou n’aient pas grand chose à payer pour l’occuper, toute la politique de la ville tend à faire baisser le coût de leur vie. L’exemple de l’abonnement à Vélib’, quasi-gratuit puisqu’à moins de trente euro pour un an, en est l’illustration. Un intéressant article publié sur Atlantico il y a quelques semaines a noté que l’indice du coût de la vie du bobo parisien avait moins augmenté que celui de la population française dans son ensemble ces dernières années.
Ce sentiment d’entre soi est naturellement renforcé par la politique anti-voitures qui consiste en réalité en un ensemble de mesures destinées à entraver l’entrée et la circulation des Provinciaux et Banlieusards. Le tramway des Maréchaux agit comme une séparation supplémentaire derrière le Périphérique et les choix urbanistiques vont tous dans le sens de l’érection d’une muraille de bâtiments face aux communes de la Petite Couronne, voir notamment l’hostile alignement bâti récemment en face des malheureux habitants d’Aubervilliers qui ont tenté d’ouvrir leur ville sur le canal qui passe entre elle et Paris.
Bref, cette politique n’est rien d’autre que la satisfaction d’une clientèle dont le statut est fragile mais à qui l’on donne l’illusion de vivre en ville comme dans un village, de faire partie d’une élite éclairée par une idéologie écologiste et protégée par la sollicitude de services municipaux à bon marché.
Cerise sur le gâteau : ils sont de «gauche», voyez-vous. Las, c’est toujours par l’argent que le bât blesse. La fête boboisante parisienne a été financée, depuis douze ans, par les droits de mutation tirés de la hausse des prix de l’immobilier, l’augmentation des impôts et celle de la dette. Mais ces cornes d’abondance tarissent. Un jour, sans doute pas si loin, on s’apercevra que le bobo n’était rien d’autre qu’un bourgeois devenant prolo.